Pierre Lazuly on Tue, 7 Mar 2000 20:35:18 +0100 (CET)


[Date Prev] [Date Next] [Thread Prev] [Thread Next] [Date Index] [Thread Index]

[nettime-fr] [chroniques] Un déficit en forte croissance



   ___________________________________________________________________


                     Un déficit en forte croissance

                 http://menteur.com/chronik/000307.html

                             (7 mars 2000)


   AU DÉBUT, moi aussi j'y avais cru. C'était drôlement
   impressionnant : 1100% d'augmentation du chiffre d'affaires en à
   peine une année, ça faisait forcément rêver. Et 58% d'augmentation
   de l'audience en 6 mois, ça avait de quoi laisser baba. Alors
   imaginez ma joie quand on m'a dit que j'allais pouvoir, pas
   plus tard que demain, acheter des actions MultiMania !

   L'entrée en Bourse d'une start-up, on aura beau dire, c'est
   toujours un moment particulièrement émouvant. C'est sa seule raison
   d'être, alors elle ne peut pas se permettre de la rater. Elle
   annonce fièrement sur son site l'introduction de leur actions, avec
   des tas de chiffres mirifiques qui vous donnent aussitôt envie d'en
   acheter. Et qui finissent par vous donner envie d'aller y regarder
   de plus près, tellement tout ça vous semble suspect.

   L'ami Erwan avait déjà relevé, dans son dernier édito [1], la
   malhonnêteté profonde de cette prétendue « progression du chiffre
   d'affaires de 1100% entre le 4ème trimestre 1998 et le 4ème
   trimestre 1999 » : quand on sait que c'est précisément au début du
   4ème trimestre 1999 que MultiMania a lancé sa grande campagne
   publicitaire radio-télé (20 millions de francs), on est déjà moins
   épaté. Surtout quand on sait que ces 20 millions de francs claqués
   en publicité n'auront guère rapporté : les recettes publicitaires
   de MultiMania, pour ce même trimestre, ne dépassent pas 4 millions
   de francs. Le chiffre d'affaires a beau progresser de 1100%, ça
   fait quand même un déficit en forte progression : en 1998,
   MultiMania perdait 6,8 millions pour un chiffre d'affaires de
   2 millions ; en 1999, elle perd 34 millions pour un chiffre
   d'affaires de 9 millions. Net progrès.

   Alors bien sûr, il y a l'autre chiffre : l'augmentation de
   l'audience. 58% d'augmentation entre août 99 et janvier 2000, ce
   n'est pas rien. Mais le mois d'août n'a sans doute pas été choisi
   pour rien. Si on prend la peine d'aller lire la page 51 de la
   note complète [2] de la COB (Commission des Opérations de Bourse),
   on apprend en effet que « la société s'attend à ce que son activité
   revête un certain caractère saisonnier ; l'utilisation de
   l'Internet et donc l'accès au site MultiMania étant moins
   importants durant les vacances d'été ». Comparer l'audience du
   15 août et celle du 15 janvier relève donc, là encore, de la plus
   grande malhonnêteté : les 58% annoncés n'ont absolument aucun sens.
   C'est même carrément faiblard, comparé aux quelque 500%
   d'augmentation observés par exemple sur menteur.com entre le 15 août
   et le 15 janvier. (Et encore, j'ai pas claqué pour 20 millions
   de francs de publicité. Si on me les donne, je vous le dis tout de
   suite, je préfère acheter un voilier et partir avec mon équipière
   préférée).

   En fait, c'est triste à dire, mais si on regarde ces malheureux 58%
   de progression de l'audience, péniblement obtenus entre le creux
   d'août et le pic de janvier en claquant au passage 20 millions de
   francs, on ne peut pas s'empêcher de penser que l'audience de
   MultiMania aurait plutôt tendance à décliner. Il était donc
   largement temps de l'introduire sur le Nouveau Marché, de rafler la
   mise et de laisser le petit porteur s'endormir en rêvant à des
   croissances de 1100%. (On a les rêves qu'on peut).

   Quoi qu'il en soit, le petit investisseur, faudra pas qu'il vienne
   pleurer si ses actions MultiMania viennent à dégringoler. La COB
   l'aura prévenu : « En raison des caractéristiques spécifiques des
   entreprises destinées à être cotées sur le Nouveau Marché et des
   risques qui peuvent en résulter pour l'investisseur, ce dernier est
   invité à lire avec attention les documents soumis à la COB ». Et
   là, c'est un véritable festival : autant le résumé de la note [3]
   de la COB est optimiste, plein de croissance et d'espérance, autant
   la note complète [2] est indéniablement inquiétante, pleine
   d'incertitudes et d'aveux. Bon, ça fait quand même 80 pages, mais
   vous pouvez vous contenter des pages 50 à 60, c'est amplement
   suffisant : incertitudes sur le Business Model de la société,
   fluctuation potentielle de ses résultats, dépendance vis-à-vis du
   développement de la publicité et du commerce en ligne, incertitudes
   légales, responsabilité liée au contenu des sites hébergés... Une
   dizaine de pages qui avouent tranquillement, bien au-delà du cas
   précis de MultiMania, toute la rouerie de la « nouvelle économie »,
   l'incertitude absolue de toutes les prédictions, le caractère
   trompeur de toutes les prévisions. Les pages 50 à 60, j'insiste,
   sont pleines d'enseignements.

   Mais la petite différence, le petit « plus » de MultiMania, c'était
   naturellement ses gentils membres, ces braves bénévoles à la
   Mygale, qui vous pondaient joyeusement de jolis sites pour pas un
   rond. Il suffisait de leur imposer des bandeaux, compter sur leur
   talent et en empocher les royalties. Comme l'écrit la COB,
   « la société est fortement dépendante de ses membres et de leur
   engagement continu à améliorer le contenu et à effectuer, en
   particulier, la promotion de leurs pages personnelles, et d'une
   manière générale, du site autour d'eux. La société dépend plus
   particulièrement des efforts de certains membres très motivés et
   très actifs dans le développement du contenu du site pour attirer
   de nouveaux internautes sur le site. La société compte ainsi sur
   la forte implication de ces membres pour réduire le besoin de
   ressources extérieures nécessaires à l'enrichissement du contenu du
   site et à la promotion de celui-ci. Toutefois, il ne peut y avoir
   aucune garantie que les membres continueront à créer un contenu
   intéressant ou à promouvoir le site. [...] Le développement et les
   résultats financiers de la société pourraient dès lors être
   affectés si les membres les plus actifs n'étaient plus satisfaits
   des services proposés par la société ».

   La COB a raison de le souligner : il n'y a effectivement aucune
   garantie que les gentils membres continuent à créer gratuitement du
   contenu intéressant « pour réduire le besoin de ressources
   extérieures nécessaires à l'enrichissement du contenu du site ».
   MultiMania, comme disait l'autre, c'est pour faire ses brouillons.
   Quand on commence à avoir des visiteurs, c'est une question de
   respect, on s'arrange pour ne pas leur imposer des fenêtres de
   publicité. On déménage chez l'ami Valentin [4] ou chez un autre
   copain.

   « Devenir actionnaire de MultiMania c'est franchir un pas de plus
   dans la communauté », ose encore écrire MultiMania dans sa dernière
   lettre gnan-gnan aux gentils membres. « Parce que communauté
   commence comme commerce », je suppose. En tout cas, le gentil
   membre qui a bien fait ses pages HTML, il a le droit d'acheter des
   actions, tellement il est mignon. « Vous pouvez participer à cette
   fabuleuse aventure en devenant vous-même actionnaire de MultiMania.
   Les souscriptions sont ouvertes du 2 au 7 mars 2000 inclus et une
   offre préférencielle (sic) vous est proposée, à vous, Membre de
   MultiMania. Vous n'avez donc que 5 jours pour en profiter ».
   (Surtout pas plus, vous risqueriez d'avoir le temps de réfléchir).
   « Cette opération va nous permettre de franchir un nouveau pas dans
   notre développement, en obtenant les moyens de financer de nouveaux
   services dont vous pourrez profiter en priorité. La création d'un
   service d'achat groupé en partenariat avec Akabi, disponible dans
   les prochaines samaines (sic), en est la parfaite illustration ».

   C'est surtout la parfaite illustration que Multimania prend
   vraiment ses abonnés pour des cons.

                                           PIERRE LAZULY.


   Les références :
   [1] http://www.ornitho.org/numero21/edito/
   [2] http://www.multimania.fr/general/info/societe/note_cob.pdf
   [3] http://www.multimania.fr/general/info/societe/resume_note_cob.pdf
   [4] http://altern.org/

   Lire aussi, si vous ne l'avez toujours pas fait, le fameux édito
   de l'ami Arno* sur les entreprenautes et le capital-risque :
   http://www.scarabee.com/EDITO2/140200.html

   Lire aussi "Une flambée peut cacher un krach" :
   http://libe.fr/quotidien/semaine/20000307mary.html


   Les précédentes chroniques MULTIMÉDIA :

   Flagrant délit
   http://menteur.com/chronik/000211.html
   L'inutile au meilleur prix
   http://menteur.com/chronik/000210.html
   Le portail des copains
   http://menteur.com/chronik/991119.html


   ___________________________________________________________________

   Les Chroniques du Menteur
   http://menteur.com

   Le portail des copains
   http://rezo.net

   Pour s'abonner à la liste de diffusion, envoyer un message vide à
   [email protected]. Pour se désabonner, écrire à [email protected].
   ___________________________________________________________________






Le portail des copains
http://rezo.net

Les Chroniques du Menteur
http://menteur.com

Pour s'abonner à la liste de diffusion, envoyer un courrier vide à
[email protected]. Pour se désabonner, écrire à [email protected].



_____________________________________________
#<[email protected]> est une liste francophone de politique,
 art,culture et net, annonces et filtrage collectif de textes.
#Cette liste est moderee, pas d'utilisation commerciale sans permission.
#Archive: http://www.nettime.org contact: [email protected]
#Desabonnements http://ada.eu.org/cgi-bin/mailman/listinfo/nettime-fr
#Contact humain <[email protected]>