/b/u/g/ on Fri, 17 Mar 2000 09:43:14 +0100 (CET)


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[nettime-fr] A propos de tribulation, d'hacktivisme et accessoirementd'ideologie




Cher Patrice,

Nous avons bien re�u ton mail qui, d'une certaine fa�on, nous a laiss� sans
voix.

Nous devons avouer que ne savions rien de l'�difiante histoire que tu
racontes et, � vrai dire, nous ne voulons rien en savoir de plus... Parce
qu'elle rappelle bien trop ces p�nibles querelles groupusculaires, propres �
un certain extr�misme de gauche, et qui semble bien se reproduirent tels
quelles dans certains recoins du cyberspace.

Cela dit, puisque ta critique sur l'emploi du terme "hacktiviste" existe, et
fut formul�e publiquement, il nous faut bien y r�pondre, ce que je vais
tenter de faire ici. Peut-�tre cela permettra au passage de clarifier
quelques points sur notre d�marche, et surtout de dissiper les brumes de
l'id�ologie qui semblent encore voiler un certains "netcriticism".

1. 
Tout d'abord, ton courrier reproduit comme un implicite le lieu commun
"hacker=pirate". Rien n'est moins faux ! Si les pirates du cyberspace
peuvent effectivement �tres consid�r�s comme des hackers, inversement, tous
les hackers ne sont pas des pirates, loin s'en faut. Sans tomber dans
l'imb�cile discours sur les "vrais" et "faux" hackers � Seeker1 a r�gl� son
compte � ce point de vue dans son excellent texte "Old and new hackers" �,
tenons-nous en � la d�finition stricte du terme : magicien du code.
Le "hackers" est pour nous, suivant la tr�s belle d�finition de Eric S.
Raymond, celui qui contribue � l'�criture et � l'accessibilit� du code des
logiciels, en cr�ant, adaptant, modifiant ou d�veloppant du code ou en
produisant du savoir faire communicable, sous forme de manuels par exemple.
Mais le hacker est aussi bien plus que cela, c'est un ensemble de sujets
sociaux autonomes qui ont produit la culture de la libert� de l'information,
de l'accessibilit� des sources, du logiciel libre, du d�veloppement
coop�ratif des savoirs.
La pose "r3b3lz", comme ont dit ici, ne nous concerne pas, et ce qui nous
int�resse chez les hackers c'est d'abord le processus d'appropriation
individuel de la connaissance techno-scientifique, la capacit� � produire
sur un mode coop�ratif, la bataille pour les libert�s dans l'espace digital
(logiciel libre, cryptage, etc.) et non d'�ventuels exploits pittoresques.

2. 
D'o� vient le terme "hacktiviste" ? Il est d'abord, ici et maintenant, un
pur produit journalistique. Le besoin d'enrober la chronique des mondes du
cyberspace d'un parfum de souffre, a conduit certains m�dias � populariser
largement ce terme qui permet d'englober dans un m�me "continent noir"
hackers et militants, cybernautes et activistes, codeurs et zapatistes, etc .
Le tout avec une implicite r�f�rence au "piratage" et au "terrorisme" qui
aide, sans aucun doute, � donner un peu de patine � des nouvelles qui, la
plupart du temps, sont sans int�r�ts aucun.
L'abus de r�f�rences � "l'hacktivisme" ou aux "hackers" au moment de
l'affaire du "Denial of Service" contre Yahoo et Cie montre bien l'intention
m�diatique qui couvre l'usage de ce genre de concept dans le seul but de
faire trembler dans les chaumi�res et de justifier la cascade de mesures de
contr�le qui s'annoncent d�j� � l'horizon. Le texte du Critical art
Ensemble, "La mythologie du terrorisme sur le Net", est � ce titre explicite
sur ce qu'il faut penser de ces d�lires n�o-s�curitaires muthomanes et sur
leur danger r�el pour nos libert�s dans et hors du cyberspace.

3. 
Pourquoi alors se r�f�rer, justement, � l'hacktivisme ? Par sens de
l'autod�rision tout d'abord puisque, en ce qui nous concerne, nous ne sommes
pas encore des hackers et nous ne sommes plus des militants. Par sens de la
provocation surtout, comme pour dire : "vous nous voulez terribles, nous
serons bien pire encore". Enfin, par plaisir du jeu avec le sens et les
sens, avec les mots et les maux, o� la pirouette des concepts et des
r�f�rents (cyberpunk, cyberculture, internautes, netcriticism, etc.) est un
instrument puissant de production de subjectivit�, d'auto-institution
identitaire, d'hybridation des pratiques et des affects.
Hacktivistes, donc, pour affirmer la n�cessit�e de la coop�ration entre les
multitudes de la contre-culture des r�seaux, entre "hackers" et
"activistes", comme repr�sentations symboliques abstraites d'�mes
diff�rentes et (que nous croyons) convergentes dans la pratique de
l'information libre, de la communication directe, de la
circulation/production coop�rative des savoirs. Rien de plus, rien de moins .
Des enjeux qui me semblent d�terminant � l'heure du "tournant linguistique
de l'�conomie" (suivant l'expression de Christian Marazzi dans "La place de
chaussettes", Editions L'�clat), � l'heure o� l'information n'est plus
seulement une "marchandise", ou un simple v�hicule de l'id�ologie, mais un
terrain social productif et un espace politique. Les peuples des r�seaux
sont multiples, sujets singuliers et divers, ils doivent aussi se faire
collectif dans le parcours de la coop�ration, que ce soit pour produire du
logiciel libre, pour bloquer les brev�ts de logiciels en Europe ou
construire des agencements autonomes de communication hors du rapport
m�diatique (les "m�dias int�mes" dont parle Hakim Bey dans "Le cr�do
m�diatique fin de si�cle").

4.
Mais revenons en � l'essentiel, c'est-�-dire � l'HNS et � son utilisation du
terme "hacktiviste". Tu dis au d�but de ton email quelque chose du genre :
votre initiative est int�ressante, elle n'a qu'un d�faut, l'emploi du terme
"hacktiviste"... C'est, finalement assez paradoxal. Soit on nous juge sur la
r�alit� de l'initiative (c'est-�-dire du contenu et du sens), soit sur une
�tiquette qui semble d�ranger.
Dans le premier cas, nous pouvons parler/d�battre justement de ce qu'est
l'information, la communication, leur cycle productif � l'heure de la
production immat�rielle, la bataille pour en rendre public le "code source",
etc. Et l� il serait v�ritablement possible d'envisager des parcours communs
qui ne soient pas des constructions fig�es autour d'�tiquettes, de
structures, de communaut�s closes sur elles-m�mes.
Dans le second cas, je ne vois pas ce qu'il y a dire, si ce n'est : dommage
!Mais, nous serions alors condamn�s � errer sans fin dans les distinctions
sibyllines au sein de l'infini groupusculaire... Et je n'ai pas quitt� le
champ clos de la "militance" politique pour aller m'enfermer dans celui des
chapelles de l'Internet.

Voil�. J'esp�re, en tout cas, avoir lev� au moins quelques ambigu�t�s.

Amicalement

Paris le 16 mars 2000
Aris

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