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[nettime-fr] les concepts de la nouvelle economie |
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[1]Le Scarab�e [2]les Editos
08 mai 2000
Au secours, mon fils entreprenaute est en train de se noyer !
Manipuler des concepts �conomiques, �a en jette. Manipuler des
concepts �conomiques novateurs, c'est encore mieux. Manipuler des
concepts �conomiques idiots, c'est de la nouvelle �conomie.
� Et, ayant donn� l'ordre aux foules de s'installer sur l'herbe, il
prit les cinq pains et les deux poissons et, levant son regard vers
le ciel, il pronon�a la b�n�diction ; puis, rompant les pains, il
les donna aux disciples, et les disciples aux foules. Ils mang�rent
tous et furent rassasi�s ; et l'on emporta ce qui restait des
morceaux : douze paniers pleins ! Or ceux qui avaient mang� �taient
environ cinq mille hommes, sans compter les femmes et les
enfants. �
Matthieu 14, 19-20
� L'"�conomie de l'immat�riel" n'est limit�e par aucune contrainte
de raret� : le savoir est la seule ressource qui ne s'�puise pas �
travers la consommation, mais qui au contraire s'enrichit au
travers elle. �
Lucas Delattre, Le Monde, 6 mai 2000
Quand j'�voquais, dans mon pr�c�dent �dito, les concepts nuls propos�s
par les fondateurs des start-up, j'entendais non seulement leurs
� produits �, mais surtout les concepts �conomiques mis en avant. Je
laisse aux copains le soin de d�monter les diff�rents � produits � des
start-up (ils ont d�j� commenc�, l'ami [16]Lazuly ayant � plusieurs
reprises entrepris de d�montrer la nullit� des achats group�s en
ligne). Je voudrais m'int�resser ici aux concepts �conomiques.
C'est l�, � mon avis, que se trouve l'essentiel de leur propagande.
Annoncer le lancement de tel ou tel petit commerce on-line, pour un
journaliste, �a ne doit pas �tre bien passionnant (aucun journal
n'annonce l'ouverture d'un nouveau fleuriste � c�t� de chez moi, mais
tous consacrent un entrefilet flatteur � chaque fois que cela se
d�roule sur l'internet) ; mais si ce petit commerce pr�tend
r�volutionner l'�conomie moderne (c'est-�-dire inventer la nouvelle
�conomie), �a a tout de m�me plus de gueule.
Suite � notre premi�re s�rie d'articles, beaucoup de r�actions
admettaient nos critiques, mais les utilisaient pour expliquer que,
justement, il y avait les bonnes entreprises de la nouvelle-�conomie
et les mauvaises (et que nous avions permis de d�noncer les
mauvaises). Pour d�finir les bonnes, chacun y allait de son concept
�conomique : le win-win, le potentiel, la prime au premier arriv�, le
fond de commerce, les fondamentaux fondamentalement sains, la
destruction cr�atrice. Il y a certainement des � bonnes � entreprises
dans l'�conomie actuelle, il y a certainement un ph�nom�ne de
d�veloppement �conomique li� aux nouvelles technologies, mais par
piti� qu'on arr�te de nous bassiner avec ces notions imb�ciles pour
nous faire bouffer de la start-up indigente.
D'autant que certaines de ces notions m'am�nent � m'inqui�ter, par ce
qu'elles impliquent, sur la survie du Web amateur, ind�pendant, non
marchand et citoyen.
Le win-win
Au rayon concept �conomique idiot, le plus innocent est sans doute le
win-win. Ce serait r�volutionnaire et, si l'on en croit les
thurif�raires de la nouvelle �conomie, c'est la raison pour laquelle
il faut accepter cette nouvelle d�rive lib�rale sans broncher : parce
que la nouvelle �conomie, c'est "je gagne, tu gagnes �. Dans chaque
reportage dans le Silicon Sentier, on a droit � un de ces jeunes
ahuris, fier d'annoncer qu'il fait du win-win, et que donc c'est
nouveau donc c'est bien (� Aujourd'hui, Cybergold annonce 1,2 million
de participants � son win win exchange (�change o� tout le monde
gagne) �, Nicole Penicaut, � Quand l'internaute vend son �me aux
publicitaires �, Lib�ration, 28 janvier 1999). Et puis �a semble
donner un poil de cr�dibilit� �conomique � l'andouille qui l'annonce :
le jargon �conomique, s'il est en franglais, �a en jette...
Seulement voil�, �a n'est pas nouveau, �a n'est pas r�volutionnaire :
le win-win est (au jargon pr�s) le fondement m�me, depuis deux
si�cles, de l'�conomie. C'est justement parce que l'�change marchand y
est pr�sent� comme la meilleure fa�on de r�aliser deux �go�smes en
m�me temps que l'�conomie a pris autant d'importance dans nos
soci�t�s. Les premi�res th�orisations de l'�change marchand sont
bas�es sur cette id�e : c'est l'�change dans lequel, par la libre
fixation d'un prix, chacun est � gagnant �. L'essor de la � science �
�conomique s'est ainsi construit contre les autres mod�les o�
l'�change ne profite qu'� l'un des protagonistes : l'Ancien r�gime et
la guerre.
� Deux pays qui commercent ne se font pas la guerre �, dit-on (et
c'est l�-dessus que s'est construite l'int�gration europ�enne de
l'apr�s-guerre), justement parce que l'�change marchand permet �
chacun de r�aliser, lors du m�me �change, ses �go�smes particuliers.
Bref, le si novateur win-win, �a n'est rien d'autre que le fondement
m�me de l'�conomie capitaliste. A moins de consid�rer qu'auparavant,
� le capitalisme, c'�tait le vol � (je doute que nos jeunes andouilles
soient � ce point r�volutionnaires), cet aspect de la nouvelle
�conomie est donc une vieille lune.
La destruction cr�atrice, la prime au premier arriv� et la d�mocratie
du client
Voici trois concepts g�n�ralement pr�sent�s s�par�ment, car ils ne
semblent pas directement li�s. Cependant il est int�ressant de voir
que, ressass�s � longueur d'articles, ils sont contradictoires.
Pour justifier les investissements �normes dans des entreprises
d�ficitaires (et annon�ant des d�ficits pour encore longtemps), on
nous sort g�n�ralement l'argument de la prime au premier arriv� (First
Mover Advantage). Il s'agirait de � prendre position � dans un cr�neau
du commerce en ligne, avec l'id�e que cette � innovation � (qui tient
g�n�ralement plus du marketing que de l'innovation technologique, mais
passons...) tendra � l'�tablissement, � moyen ou long terme, d'un
monopole sur ce cr�neau. Le march� (le besoin ou, plus �conomiquement,
l'utilit�) n'existe pas encore, mais lorsqu'il le sera, le premier
arriv� restera le seul. D�j�, on peut s'�tonner d'une telle croyance :
l'internet conna�t un � nouveau march� � tous les ans, une
� killer-app � (une application r�volutionnaire) tous les six mois et
le nombre de nouveaux internautes est tel que la fid�lisation
ponctuelle est un non-sens (par exemple, il y a quelques ann�es, le
r�flexe de chaque internaute cin�phile �tait la consultation de
l'Internet Movie DataBase ; maintenant les nouveaux n'en ont jamais
entendu parler) ; il est clair qu'une notori�t� acquise aujourd'hui
n'aboutira pas � un monopole demain.
Le d�veloppement actuel par capital-risque (investissements massifs et
� risqu�s � dans des technologies innovantes) repose sur la th�orie de
la destruction cr�atrice ; c'est elle, d'ailleurs, qui justifierait la
prime au premier arriv� (tout journaliste qui veut se faire mousser au
sujet de la nouvelle �conomie nous tartine un paragraphe sur la
destruction cr�atrice : � Le capitalisme manifeste sa puissance et son
dynamisme en remodelant la plan�te comme jamais. On nomme cela
"mondialisation". Le voici lanc� dans un formidable processus de
destruction cr�atrice, o� les r�volutions technologiques rebattent les
cartes des avantages comp�titifs. Besoins nouveaux et �conomies
d'�chelle alimentent la machine � cr�er de la richesse. �, Eric Dupin,
� Gauche en mal d'anticapitalisme �, Lib�ration, 11 janvier 2000).
C'est Joseph Schumpeter qui, en 1942, d�finit ce concept (quand on
vous disait que la nouvelle �conomie, c'est nouveau...) : le moteur de
la croissance ne serait pas la recherche de l'accumulation de
richesses dans les entreprises, mais la recherche de l'innovation. Il
s'agit, pour les entreprises, de s'extraire de la concurrence et de
devenir un monopole de fait, gr�ce � cette innovation technique. D'o�
l'acc�l�ration actuelle du financement par le capital-risque (une
course � l'innovation) qui permettrait aux entreprises de d�tenir un
monopole (la prime au premier arriv� d�coule de cela). Mais Schumpeter
lui-m�me explique que ce monopole n'a qu'un temps (celui, justement,
que les innovations soient adopt�es par les entreprises concurrentes,
ou que celles-ci les d�passent carr�ment). Contradiction donc avec la
prime au premier arriv� : attendre d'une entreprise innovante une
rentabilit� � moyen terme (5 ans) sur un secteur o� les innovations se
succ�dent aussi rapidement, �a ne tient pas. On peut nuancer : du
point de vue de chaque start-up, cette course � l'innovation sans
retour sur investissement imm�diat est suicidaire ; mais d'un point de
vue macro�conomique, il est probable que cette course profite � la
croissance - comment, pourquoi, et pour quelles entreprises, c'est
sans doute l'enjeu de la concurrence entre nouvelle �conomie, qui
innove, et ancienne �conomie, qui en tire les b�n�fices (ceci est
important : on peut ainsi admettre qu'il existe un ph�nom�ne actuel de
fort d�veloppement innovant et d'am�lioration de la productivit� gr�ce
� la mise en r�seau, mais douter que cette � nouvelle �conomie � se
trouve l� o� on nous la d�signe - plus g�n�ralement, il s'agit l�
d'une th�orie de la croissance endog�ne, c'est-�-dire qu'elle ne
consid�re pas le progr�s technique comme une externalit�, mais qu'elle
la situe comme �l�ment int�gr� � l'�conomie, et non dans une
� nouvelle �conomie � qui en serait s�par�e). En tout cas, si la
th�orie de la destruction cr�atrice justifie l'existence des start-up
et du capital-risque, elle condamne du m�me coup leur viabilit�
�conomique : au moment m�me de leur entr�e en bourse, leurs concepts
innovants sont p�rim�s et, apr�s cinq ans d'activit�, elles passent
aux oubliettes avant d'atteindre la rentabilit�.
Il y a ensuite le concept �bouriffant de d�mocratie du consommateur.
On peut d�j� lui opposer un jugement de valeur ferme (et largement
d�velopp� par ailleurs) : chacun est � la fois, dans nos soci�t�s,
consommateur et producteur ; la tyrannie du consommateur-roi sert donc
avant tout � contraindre le producteur : le consommateur r�clame des
prix plus bas, de meilleurs services, etc. et le producteur qu'il est
en m�me temps doit se plier � ses demandes, donc accepter plus de
flexibilit� et de r�ductions de salaire. Je m'�tonne d'ailleurs que
les petits lib�raux qui vantent cette � d�mocratie � opposent ainsi le
consommateur et l'entreprise. Surtout, il y a l� un mensonge �vident :
comment pr�tendre � une libert� de choix de consommation alors que
tout le syst�me repose sur la destruction cr�atrice, c'est-�-dire sur
la recherche permanente de la situation de monopole par le moyen de
l'innovation ? Si r�ellement le monopole du premier arriv� �tait
r�alis�, il n'y aurait plus de possibilit� de choix, donc de
d�mocratie du consommateur. On retrouve l� le contresens classique du
lib�ralisme : pr�tendre � la puret� et � la perfection du march�,
alors que celui-ci est largement contr�l� par des entreprises
multinationales en situation de monopole.
Le potentiel
Comment reconna�t-on une bonne start-up d'une mauvaise ? Facile : la
premi�re a un r�el potentiel, pas la seconde. Hop, finie la critique :
� peut-�tre que �a ne rapporte rien, mais regarde un peu le
potentiel �, pouvait-on lire sur un forum boursier lors de
l'introduction de Multimania.
En r�alit�, la notion de potentiel est tellement vague qu'elle ressort
plus de l'incantation que d'une �ventuelle r�alit� �conomique : son
sens change au gr� du vent. Parfois on l'utilise pour d�signer l'un ou
l'autre des concepts d�velopp�s ici (la prime au premier arriv�,
l'effet de seuil), en gros un hypoth�tique effet de seuil, un monopole
de situation � venir. Personne pourtant n'escompte de b�n�fices avant
plusieurs ann�es : le potentiel est donc une id�e purement boursi�re,
au sens sp�culatif. Le potentiel n'est pas l'espoir de dividendes,
mais d'une hausse fulgurante du cours des actions. Caract�ristique de
ce � potentiel � de la nouvelle �conomie : le boursicoteur n'attend
pas des dividendes, il attend que le cours monte. Toute l'activit� est
donc d�tach�e de l'activit� r�elle (qui permettrait de verser des
dividendes), elle est r�duite � la gestion du capital de l'entreprise
(la valeur des actions qui s'�changent).
Pourquoi acheter des actions : parce qu'elles vont monter. Pourquoi
vont-elles monter : parce qu'on va en acheter. Que ce raisonnement
soit tenu par les boursicoteurs eux-m�mes est d�j� limite, il est
encore plus �tonnant de le voir propos� comme unique argument par les
entreprises cot�e. Dans son communiqu� annon�ant son introduction en
bourse, T-Online explique pourquoi il faut acheter ses actions :
� Selon un sondage dimap r�alis� aupr�s de 1 100 personnes et paru
samedi, 59% des Allemands sont convaincus du succ�s de l'action
T-Online, et ils sont 77% dans la tranche des 18-29 ans. � Autrement
dit : � nos actions vont monter parce que tout le monde pense qu'elles
vont monter �. M'oui, mais de l� � appeler �a un concept novateur...
La prochaine fois, on pourra faire appel � l'astrologie et � la
num�rologie.
L'effet de seuil et la multiplication des pains
Il y a quelques ann�es, on justifiait la nouvelle �conomie par un
effet de seuil : l'investissement (capital-risque) dans le
d�veloppement d'une innovation, la mise en ligne du service
correspondant, le tout pour une somme d�termin�e et, ensuite, une
rente d'utilisation illimit�e. On d�velopperait un service unique, et
les visites se multipliant, il n'y aurait plus d�s lors que des
rentr�es d'argent (et pratiquement plus de d�penses). Enonc� ainsi, on
revient � la th�orie de la destruction cr�atrice, la recherche de
l'innovation menant � un monopole et � l'obtention d'une rente de
situation.
On fera l� la m�me critique que pr�c�demment. On peut insister ; non
seulement le renouvellement technologique est tr�s rapide, surtout
l'internet int�gre deux autres donn�es importantes : les � concepts �
(cette fois au sens du produit) ne sont pas prot�geables par des
brevets (on ne prot�ge pas une simple id�e), aussi d�s qu'une bonne
id�e �merge, elle est aussit�t reprise et la concurrence est imm�diate
(interdisant de fait la rente due au monopole) ; de plus les seules
technologies qui r�ussissent � s'implanter sur le r�seau sont
traditionnellement � ouvertes � (c'est-�-dire que leur fonctionnement
est connu et accessible � tous), emp�chant un peu plus le monopole
technologique. Soit une entreprise bloque l'acc�s aux sources de sa
propre technologie (pour en conserver le contr�le) et alors cette
technologie est refus�e par le march� ; soit elle ouvre sa technologie
et alors se prive de sa rente de situation. L'effet de seuil, sur
l'internet, est donc doublement un mythe : � cause du renouvellement
acc�l�r� des technologies, ensuite par l'obligation d'y utiliser des
technologies ouvertes.
A moins de r�ussir � imposer comme standard une technologie ferm�e
(strat�gie Microsoft). Cela n'est pas encore arriv� sur le r�seau
(voir plus loin), mais c'est la principale menace qui p�se sur
l'internet.
Face au bide de l'effet de seuil, la formulation � la mode aujourd'hui
(il ne se passe pas un jour sans qu'un journaliste ne s'�bahisse de ce
concept � la mani�re d'une poule qui aurait d�couvert un clou) est
diff�rente mais dit � peu pr�s la m�me chose : l'information,
fondement de la nouvelle �conomie, serait le seul produit que l'on
peut vendre sans s'en d�faire. On peut vendre une information sans
s'en d�partir, et sans en priver un autre consommateur. J'appelle �a :
la multiplication des pains. C'est ainsi, d�sormais, que l'on explique
l'aspect novateur de la nouvelle �conomie.
Cela ressemble au pr�c�dent effet de seuil : investir au d�part pour
d�velopper la source d'information, ensuite �a roule ma poule, le
compteur tourne � chaque visite... Investissement de base, puis rente
de situation.
Mais par sa formulation, ce nouveau � concept � en rappelle
furieusement un autre, beaucoup plus ancien : celui de bien public. Un
bien public se d�finit par sa non-rivalit� et par sa non-exclusivit� :
la non-rivalit� du bien signifie que son utilisation n'emp�che pas son
utilisation par quelqu'un d'autre (un � usager � du chant du coq est
r�veill� par celui-ci, sans emp�cher le moins du monde qu'un autre
� usager � profite de ce m�me chant) ; la non-exclusivit� d'un bien
signifie que personne ne peut emp�cher quiconque de l'utiliser (mon
voisin ne peut m'emp�cher d'utiliser le chant de son coq pour me
r�veiller).
Le bien public, base de la nouvelle �conomie ? D�cid�ment, on se noie
dans les concepts innovants...
Et c'est l� que je commence � m'inqui�ter (jusque l�, disons que je
rigolais). Un bien public ne saurait �tre consid�r� ind�pendamment de
son r�le social, de son importance d�mocratique, culturelle, dans le
d�veloppement de chaque citoyen. En l'occurrence, on parle bien de
� savoir �, d'information, de communication.
Classiquement, la gestion d'un bien public � l'utilit� sociale
reconnue se fait de deux mani�res.
La premi�re est la r�gulation par l'Etat : la collectivit� d�cide de
ses besoins et l'Etat met en place soit un service public (lui
appartenant) soit d�l�gue la production et la gestion de ce bien
commun au priv�, en lui fixant un certain nombre de r�gles et de
missions. S'agissant ici de � savoir �, on peut imaginer le
d�veloppement par l'Etat d'un certain nombre d'outils publics destin�s
� promouvoir l'acc�s au r�seau, � la connaissance par tous les
citoyens, la fixation de r�gles (missions) aux entreprises charg�es de
v�hiculer cette connaissance, sans pour autant limiter le
d�veloppement, par ailleurs, d'un internet purement marchand. Il est
clair aujourd'hui que cette id�e est abandonn�e par les politiques :
on vise le lib�ralisme le plus pur, et l'Etat souhaite se limiter � la
r�pression des d�lits.
La seconde mani�re de g�rer un bien public est �galement tr�s
ancienne, il s'agit du corporatisme. Les � professions � charg�es de
biens publics s'entendent pour g�rer la production de ces biens,
r�guler la concurrence et assurer une certaine pr�servation de
l'utilit� sociale. En mati�re d'information, le corporatisme �tait, il
y a peu, le mod�le dominant : statut de journaliste encart�, syndicats
puissants, etc. Deux limites � ce mod�le : il est connu,
traditionnellement, comme bloquant le progr�s technique et
l'innovation (Colbert, au XVIIe si�cle, s'opposa au corporatisme, qui
bloquait le d�veloppement des manufactures ; Turgot, � la fin du
XVIIIe, mit fin au r�gime des corporations pour des raisons
similaires) - il y a fort � parier que le corporatisme de
l'information ne r�sistera donc pas au rouleau compresseur de
l'innovation n�o-lib�rale. Surtout l'internet permet l'acc�s �
l'expression publique � tous les citoyens (c'est l� que se situe la
v�ritable r�volution de l'internet : pour la premi�re fois, les
citoyens peuvent acc�der � l'expression publique, hors du cadre
corporatiste des soci�t�s de presse) ; et les r�flexes corporatistes
n'ont pas manqu� de faire jour (� l'internet qui est un danger public
puisque ouvert � n'importe qui pour dire n'importe quoi �, Fran�oise
Giroud, Nouvel observateur, 25 novembre 1999 - ou encore le Canard
encha�n� d�non�ant les webzines comme autant de � fanzines de
propagande et/ou de d�sinformation � et regrettant que l'on n'y trouve
qu'� une petite douzaine de journalistes professionnels (encart�s) �,
Dossiers du Canard encha�n�, L@ folie internet, avril 2000). Bref,
puisqu'il n'existe de corporatisme que si l'information reste une
profession, le corporatisme est incapable de g�rer l'information
fournie par les particuliers et les amateurs.
Exit le corporatisme, exit l'intervention de l'Etat, c'est la porte
grande ouverte � la politique lib�rale. Si je n'ai �voqu�, plus haut,
que � deux mani�res �, c'est parce que la solution du seul march� ne
reconna�t plus la notion d'utilit� sociale, en tout cas pas dans le
sens commun (l'�conomie s'est impos�e comme science lorsqu'elle s'est
�mancip�e de la philosophie et de la morale, l'� utilit� � �tant alors
r�duite � la simple satisfaction d'un besoin au travers d'un acte
marchand).
Donc la nouvelle �conomie repose sur la gestion lib�rale (via le seul
march�) d'un bien commun (le savoir). A�e...
Le concept, l� encore, n'est pas bien nouveau : la lib�ralisation
(c'est-�-dire le passage au march�) d'un bien public �tant
archi-connue. En particulier, laisser au seul march� la gestion d'un
bien public est � sous-optimale � (pas optimale, quoi...) et induit
d'immenses g�chis de ressources. Les entreprises, pour contrer ce
risque de mauvaise gestion (d� paradoxalement � la concurrence),
d�veloppent donc un certain nombre de strat�gies. Celles-ci reviennent
classiquement � transformer la nature du bien public, � en organiser
la raret� et � interdire la concurrence.
Un bien public (tel que le savoir) est caract�ris� par sa
non-exclusivit� : on ne peut en interdire l'acc�s. Il convient donc de
supprimer cette clause, et limiter l'utilisation du bien ; du bien
public il faut revenir � la rente de situation. Pour cela, les
entreprises pervertissent plusieurs notions : l'information (la
perception et le t�moignage d'un �v�nement) est assimil� � sa
r�daction, et le droit d'auteur et les droits d�riv�s envahissent
toute la sph�re de l'expression (assimiler le t�moignage sur les
pratiques d'une marque � du plagiat de marque, r�duire un �v�nement
humain � la fa�on dont untel l'a rapport�, etc.) ; le savoir devient
du � contenu �, soumis non � son utilit� sociale, mais au copyright du
producteur. Ainsi les entreprises tentent-elles de breveter la
� nature �, l'humain, les id�es, et font un important lobbying pour
voir leurs positions adopt�es par les gouvernements (brevetabilit� du
vivant aux Etats-Unis, extension du copyright et des brevets �
l'am�ricaine en Europe, etc.). Le droit d'auteur, con�u pour assurer
l'ind�pendance des cr�ateurs du savoir, devient le copyright
permettant d'assurer une rente de situation aux producteurs. Les
journalistes qui s'extasient au motif que l'information est le seul
bien que l'on peut vendre sans s'en d�partir, devraient �tre les
premiers � voir la limite : celui qui l'a achet�e ne peut pas, lui, la
revendre ; il y a le producteur, qui touche le beurre et l'argent du
beurre, et le consommateur qui se retrouve avec un produit qui sort
automatiquement du syst�me marchand ! Je me trompe, ou c'est du
� win-win � o� l'un des protagonistes se fait arnaquer ?
Organiser la raret�, voil� sans doute le point principal (l'extension
du copyright faisant partie de cette strat�gie). Jusqu'ici, le r�seau
a syst�matiquement g�n�r� des solutions techniques permettant
d'�chapper au bouclage technologique par quelques entreprises. Mais
cela va-t-il durer ? La puissance de Microsoft (et son exp�rience en
la mati�re) peut inqui�ter, le d�veloppement des technologies libres
(GNU/Linux, formats ouverts...) pourrait contrer la tendance.
Arrivera-t-on � une situation comparable � celle du disque (quelques
majors mondiales contr�lent l'int�gralit� du march�, interdisant
quasiment la concurrence et l'�mergence de talents hors de leurs
circuits), � celle du march� du film, ou au contraire conservera-t-on
l'ouverture qui fait la richesse de l'internet (et donc de la
diffusion des connaissances) ? Difficile de r�pondre, en tout cas il
faut �tre conscient que les hostilit�s ont commenc�, autant sur le
terrain du lobbying politique que du d�veloppement technologique, en
passant par le harc�lement juridique. La survie d'un h�bergeur
ind�pendant comme Altern, par exemple, semble de plus en plus
difficile, alors que son utilit� sociale est av�r�e. Le passage de la
gestion des noms de domaines sous les auspices de l'OMPI traduisent
�galement cette volont� d'organiser la raret� au profit des marchands.
Conclusion
Lorsque nous avons lanc�, avec les copains ([17]Le Menteur,
[18]L'Ornitho, [19]P�riph�ries), notre premier tir de barrage contre
les start-up, je ne pensais pas consacrer trop de temps au sujet : en
gros, j'ai d'autres chats � fouetter que les lubies des startupiens du
Sentier et de R�publique. Mais visiblement, malgr� la chute du Nouveau
march� et du Nasdaq du mois dernier, les pr�tendus concepts
�conomiques que soutiennent ces entreprises perdurent.
On trouve toujours autant d'articles dans la presse pour pr�senter ces
concepts novateurs, r�volutionnaires. Pourquoi ne pas dire tout
simplement qu'on veut acc�l�rer l'�tablissement du n�olib�ralisme et
marchandiser ce bien public qu'est le savoir ? Pourquoi ne pas le dire
simplement : nous allons privatiser et rar�fier ce bien public, et
�tablir des monopoles de l'information ?
La culture, l'�ducation, l'information, le savoir, toutes ces
ressources vont int�grer le monde des �changes marchands. Et c'est
math�matique : en valorisant ce qui auparavant n'avait pas de valeur,
on augmente la valeur globale du syst�me, et donc on pr�tend g�n�rer
de la croissance. Inutile de nous enrober ce n�olib�ralisme simplet
dans des concepts �conomiques pr�tendument nouveaux.
[20]ARNO*
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5. http://www.scarabee.com/EDITO2/contrib.php3?edito=102
6. http://www.scarabee.com/EDITO2/080500.html
17. http://www.menteur.com/
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