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[nettime-fr] Valentin parle




Interview 

Valentin Lacambre : "le march� aboutit � une uniformisation g�n�ralis�e" 
27/07/2000 

Par Edouard de Maul�on Narbonne, France-iNvest 

Valentin Lacambre, une figure de l'Internet, connu du grand public pour ses
d�boires juridiques notamment avec Estelle Hallyday, vient de fermer son
service d'h�bergement gratuit Altern � la suite d'une loi imposant des
charges consid�rables aux h�bergeurs. Parall�lement il continue ses
activit�s commerciales avec GANDI, une soci�t� d'enregistrement des noms de
domaine, cr��e dans l'id�e de d�stabiliser le march� en proposant les tarifs
les moins chers au monde. Entretien avec un acteur subversif de la "Net
�conomie".

Vous avez ferm� Altern. Pourquoi ? 

A cause de la loi du 28 juin. Cette loi impose une obligation
d'identification pr�alable des auteurs de sites afin de pouvoir poursuivre
d'�ventuelles infractions li�es � l'expression publique. Cette
identification pr�alable n'aidera pas la police, car si quelqu'un veut
commettre une infraction, il ne laissera jamais son vrai nom et sa vraie
adresse � un h�bergeur. En plus par le biais des adresses IP (Protocole
Internet, NDLR), on retrouve d�j� � peu pr�s n'importe qui. Si je respectais
la loi du 28 juin, je serais oblig� de transmettre au Procureur de la
R�publique par lettre recommand�e toute plainte re�ue par e-mail contre le
contenu d'un site. Je refuse d'�tre transform� en indicateur ou en censeur.
Le r�le d'Altern �tait au contraire de promouvoir l'expression publique. De
plus ces nouvelles obligations augmentent consid�rablement la charge de
travail des h�bergeurs ind�pendants. Les h�bergeurs commerciaux, eux, n'ont
pas de probl�me de survie avec cette loi. Ils auront certes plus de travail,
� cause de leur nouvelle fonction d'indicateur du Parquet, mais d'un autre
c�t� les noms et adresses recueillis n'�tant aucunement prot�g�s contre une
exploitation commerciale, le "deal" me semble assez clair. Ils doivent
informer les politiques de tout ce qui se passe. En contrepartie ils ont le
droit d'exploiter les donn�es personnelles comme ils l'entendent. L'un dans
l'autre, pour eux, c'est un jeu � somme nulle. Ce qui est arriv� en France
avec l'identification pr�alable ne serait pas constitutionnel aux
Etats-Unis. En France on saura avant la fin du mois si la loi est
constitutionnelle dans la mesure o� le texte a �t� pr�sent� au Conseil
Constitutionnel le 30 juin. Si la loi est invalid�e par le Conseil
Constitutionnel, je rouvre Altern.

Y a-t-il un combat politique, une philosophie derri�re vos activit�s
Internet ? 

Ce n'est pas � moi de le dire. Je suis un petit artisan qui m�ne ses
activit�s dans son coin. Je suis l� avant tout pour me faire plaisir.
Maintenant mon plaisir c'est de profiter de ces nouvelles technologies qui
permettent � chacun de communiquer avec chacun. Il me semble que cette
possibilit� de communication publique qui est la premi�re application r�elle
de l'id�e selon laquelle tout citoyen a le droit de communiquer librement va
�tre un contre-pied, un contre-pouvoir n�cessaire � l'informatisation de la
soci�t� telle qu'on la vit en ce moment, c'est � dire un fichage g�n�ralis�,
un contr�le de plus en plus �troit des activit�s m�me s'il est involontaire,
par exemple quand vous retirez de l'argent � un distributeur il y a un
ordinateur qui sait o� vous �tiez et � quelle heure. Un des contrepoids �
tout cela doit �tre une possibilit� d'expression publique beaucoup plus
large. 

Mais vous menez un combat pour le logiciel libre ? 

Oui. Altern fonctionne avec des logiciels libres. Ca reprend d'ailleurs la
m�me id�e. L'Internet n'existe que parce qu'il est b�ti sur des protocoles
publics. Si l'Internet �tait b�ti sur des protocoles priv�s, ce serait AOL.
Et l'expression publique des gens au sein d'AOL elle n'est pas ce qu'on
croit qu'elle est. Sur AOL on voit d'un c�t� des soci�t�s qui sont l�, qui
s'expriment, etc. Et de l'autre des gens qui peuvent �ventuellement discuter
sur des forums de discussion. L� ce que propose Internet c'est Monsieur X,
il a la m�me pr�sence virtuelle, potentielle, que Vivendi ou n'importe quel
autre gros machin.

Un portrait de vous dans l'Humanit� faisait r�f�rence � une affiche dont le
slogan �tait : profit et capitalisme cr�ent ch�mage et mis�re. C'est votre
id�e ?

Je ne le dirais pas forc�ment dans ce sens l�. Mais je crois que le march�
aboutit � une uniformisation g�n�ralis�e. C'est une uniformisation des
marchandises et quelque part aussi des pens�es. Je crois que ce n'est pas la
soci�t� qui me plait. Je pr�f�re aller faire mes courses chez quinze petits
commer�ants qui vont me raconter des histoires plut�t que dans un grand
supermarch� totalement neutre.

Pourtant Gandi, votre soci�t� d'enregistrement des noms de domaine, fait du
profit. N'y a-t-il pas l� un paradoxe ? 

De toute fa�on on est inscrit dans un syst�me marchand, qu'on le veuille ou
non. On vit aujourd'hui dans la soci�t�Je vais au supermarch� car les
petits commer�ants sont de plus en plus rares et plus chers� On a un
probl�me de fond avec �a. On voit les probl�mes �mergents. Tout devient une
marchandise y compris l'information. Les journaux qui ne sont pas des
marchandises c'est-�-dire qui n'existent pas pour vendre de la publicit� sur
la page d'� c�t� sont de plus en plus rares. Mais beaucoup de gens pensent
que cette uniformisation de la soci�t� n'est pas faite pour servir les
citoyens mais plus faites pour servir ce qu'on appellerait aujourd'hui les
entreprises citoyennes, c'est � dire l'id�e que les �lecteurs ne sont plus
les individus mais les entreprises. Mais Gandi est une marchandise et
s'inscrit forc�ment dans un syst�me ultra lib�ral. En ce moment on
enregistre 750 noms de domaine par jour, � 12 euros l'unit�. On est oblig�
d'�tre une SARL ou SA pour �tre agr��. On est oblig� de payer Network
Solution Regsitry 6 dollars pour enregistrer chaque nom. On a des frais de
fonctionnements. Notre objectif est d'�tre le plus honorable possible et de
ne pas �tre au service d'int�r�ts commerciaux particuliers. Maintenant la
tenue de cette id�e ne tien qu'� nous et comme on est une SARL, on peut
devenir commercial standard � n'importe quel moment. La garantie du
caract�re d'�conomie solidaire de GANDI tient � ses associ�s.

Alors pas de projet de vous mettre en Bourse ? 

On n'est pas oblig� de rejoindre le march�. On est oblig� de faire avec, et
faire en sorte que nos activit�s soient viables dans le cadre d'une soci�t�
de march�. On ne peut pas �tre contre la terre enti�re. J'ai d'autres
objectifs, comme un petit artisan ou un p�cheur. Il existe dans une soci�t�
de march� mais je ne cherche pas � rentrer en Bourse.

Redhat en Bourse, �a vous g�ne ? 

Non pas du tout. Redhat est un distributeur de Linux. Eux aussi doivent
s'inscrire dans une �conomie existante, donc ils sont oblig�s d'avoir une
existence commerciale pour pouvoir exister. Maintenant Redhat la joue � peu
pr�s correctement. M�me si Debian est un peu plus "traditionaliste
stallmanien". De toutes fa�ons en ce qui concerne les logiciels libres,
c'est une bataille � peu pr�s gagn�e. Ca a commenc� avec les centres
serveurs qui utilisent tous ou des logiciels librement distribuables, ou des
logiciels commerciaux fonctionnant sur des standards ouverts (POP, http,
SMTP,�). Cette id�e l� est en train de passer parce qu'un logiciel public ou
fonctionnant sur des protocoles publics est forc�ment plus efficace et
beaucoup mieux d�velopp� qu'un logiciel fabriqu� par une entreprise priv�e
qui a des ressources limit�es.

Pourtant il y a un danger avec la brevetabilit� des logiciels�

Oui alors �a c'est la b�te inf�me qu'ils ont trouv� pour essayer d'arr�ter
les logiciels libres c'est de dire on va permettre la brevetabilit� des
algorithmes, ce qui veut dire en clair la brevetabilit� des id�es. Autrement
dit si on avait commenc� comme �a il y a quelques mill�naires, le premier
type qui aurait commenc� � compter aurait d�pos� un brevet et personne
n'aurait eu le droit de compter. Ca me semble un peu ridicule mais
maintenant, au point o� ils en sont pourquoi ne voteraient-ils pas �a ? Il y
a une p�tition mondiale en cours sur www.april.org. C'est vrai que si cette
loi passait �a serait de la folie. Mais �a ressemble �trangement � d'autres
tentatives de brevetabilit� : la brevetabilit� du vivant. Ca a �t� cass� aux
Etats-Unis, �a a �t� cass� en Europe parce que quand on dit "brevetabilit�
du vivant", on comprend tout de suite. On comprend brevetabilit� du g�nome,
clonage, multiplications,�Alors que "brevetabilit� des algorithmes, c'est la
m�me chose pour les ordinateurs mais c'est beaucoup plus difficile �
comprendre. Donc c'est beaucoup plus difficile de mener cette bataille-l� et
ils ont plus de chances de passer l�-dessus. Mais si une telle loi passait
�a me para�trait terriblement symbolique d'un glissement de la soci�t�.

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