J Rabie on Fri, 16 Jun 2006 12:52:04 +0200 (CEST)
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[nettime-fr] ART ET PAIX : lettre ouverte à Clara Halter
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ART ET PAIX : lettre ouverte à Clara Halter
Chère Madame Halter,
Le Hamas, en Palestine, vient de rompre la trêve qu'il observe depuis
plus d'année. Cet acte fait suite à une bavure, causant la mort sur la
plage de Gaza de sept membres d'une même famille, des enfants pour la
plupart, par un obus israélien qui visait des lanceurs de roquettes
palestiniens ciblant des villes israéliennes. Bien qu'éloignée d'une
vraie paix, cette trêve représentait un répit, même si partiel et
imparfait ; elle risque désormais de laisser la place à une
recrudescence de la belligérence globale. Ces derniers temps, la
population israélienne a subi un nombre très limité d'attentats,
amenant un sentiment de sécurité. Côté palestinien, les attaques contre
les militants et combattants a continué sans répit, générant un flot
ininterrompu de morts civiles palestiniennes, regretté par Israël, à
l'instar de ce qui s'est passé sur la plage de Gaza, mais justifié en
tant que dégâts collatéraux inévitables. Une situation que les médias
appellent "un calme relatif".
J'ai eu l'opportunité, récemment, de visiter la création sur la paix
que vous avez réalisée à Jerusalem, dans le cadre de "Voilà ! Une
saison française en Israël" (http://www.voila.org.il/). J'ai visité les
tentes de la paix que vous avez érigées sur la promenade d'Armon
Hanatziv, face aux pittoresques remparts de pierre de la Vieille Ville.
J'ai pu méditer sur le message de paix voulu par vos tissus, imprimés
avec le mot "paix" en une cinquantaine de langues, dans une esthétique
en noir et blanc, transmettant une symbolique d'unicité entre peuples
et cultures (http://www.jerusalem.muni.il/tent/all.html).
Ces jolis tissus, libres dans l'air chaud et sec de Jérusalem, m'ont
fait penser à une autre œuvre d'un autre artiste, Christo. Son "Running
Fence", clôture de tissu qui sortait de l'Océan Pacifique pour courrir
sans entraves sur les collines de la Californie, épousant la poésie de
ses courbes et sa topographie, était profondément paisible.
Et puis, de mon lieu d'observation j'ai remarqué une autre
construction, qui elle aussi court le long des sommets des collines. A
Jerusalem, le bâti est revêtu d'une pierre dorée lumineuse, réverbérant
la lumière brillante de la ville. Cela est imposé par le règlement
d'urbanisme. Mais la construction dont je parle bénéficie manifestement
d'une dérogation, car elle est faite en béton brut de décoffrage. Il
s'agit d'un pan du mur de séparation qu'Israël est en train de
construire, unilatéralement, pour définir la frontière avec la
Palestine. Vous ne l'avez peut-être pas remarqué car à cet endroit, il
est caché par la Colline du Mauvais Conseil. On en aperçoit un petit
pan, bien plus loin sur la gauche, caché par la densité des habitations
palestiniennes de Jérusalem, situées d'ailleurs des deux côtés du mur,
qui à cet endroit, traverse au beau millieu des quartiers palestiniens
de la ville.
Etes-vous descendue de l'autre côté de la colline du Mauvais Conseil ?
Vous arrivez dans le village palestinien de Jabel Mukaber, en
territoire occupé. Les habitants vous interrogent, essayant de cerner
si vous parlez hébreu, ce qui vous désigne alors comme ennemi. Là,
parmi les oliviers et les nids de poule, tout discours sur la paix en
tant qu'idéal universel semble surréaliste, ouvrir le cœur à une
récitation incantatoire du mot "paix" en cinquante langues ressemble à
une abstraction venant d'une autre planète. Sous la chaleur écrasante,
le paysage entier est dominé par cette couronne de béton serpentant le
long de la crête de la vallée en face, avec ses miradors et ses
antennes de surveillance.
Pour ses promoteurs, le mur de séparation a été créé en rampart contre
les actes terroristes, qui ont profondément traumatisé la population
d'Israël. En contribuant à la réduction du nombre d'attentats, on peut
arguer que le mur est en train d'apporter la paix aux israéliens - ce
qui est strictement unilatéral, car les palestiniens continuent de
subir la violence, les humiliations, l'appauvrissement et la
dépossession de l'occupation. On peux arguer que pour les mouvements de
libération palestiniens, le terrorisme était la pire des stratégies :
non seulement parce que le recours à un crime de guerre contre des
civils est une marque noire contre l'humanité, mais également car
utiliser l'horreur comme arme donne toute latitude à son adversaire
pour opérer l'escalade dans la mise en œuvre du dispositif sécuritaire.
Ainsi, justifier la construction d'un mur pour arrêter des attentats
est une évidence. Utiliser ce mur pour accaparer les territoires
palestiniens dans une vaste opération d'annexion est un vil acte
d'opportunisme se cachant derrière la promesse de sécurité. A
Jérusalem, le mur déplace 235 kilométres carrés de territoire
palestinien du côté israélien, empêchant les palestiniens de l'autre
côté de jouir de la ville.
Si israéliens et palestiniens s'accordent sur quelque chose, c'est sur
la haine ressentie à l'égard l'un de l'autre. Donnez à chaque partie
une baguette magique pour faire disparaître l'autre, elle sera
probablement utilisée. Les deux côtés s'accordent sur un autre point :
chacun se considère victime. Pour les Juifs, c'est le fruit de siècles
de persécution et la Shoah. Néanmoins, dans la réalité d'aujourd'hui,
la situation n'est pas symmétrique, car Israël est un pays souverain,
et la Palestine est un territoire soumis.
Les israéliens se disent un peuple éprit de paix. Ecoutez les chansons
populaires depuis cinquante ans pour en témoigner. Mais déclarer la
paix comme concept humaniste et universel ne suffit pas pour que le
rêve devienne réalité. Faire la paix est un dur ouvrage de concession
et compromis, permettant d'établir un équilibre politique, social,
économique entre entités antagonistes. Israël, qui est dans la position
dominante dans le conflit, a le choix entre une véritable paix
négociée, et l'imposition d'une "paix" factice, unilatérale, sur les
palestiniens, avec annexion de parties importantes de leur territoire.
Pour l'instant le choix porte sur la deuxième possibilité. Mais une
"paix" armée imposée par un partenaire dominateur sur un partenaire
assujetti n'est pas une paix du tout.
Pour terminer, j'aimerai vous décrire un autre travail artistique, que
j'ai vu près de Jérusalem. On peux critiquer sa qualité intrinsèque,
mais il portait indubitablement les traces d'un travail artistique :
une recherche esthétique et conceptuelle. Je n'ai pas pu savoir qui
était l'auteur, vraisemblablement un ingénieur des travaux publics. Son
médium : peinture en trompe l'oeil sur béton - une longue série
d'arches peintes, à travers lesquelles on voit un ciel bleu surplombant
une terre verte, totalement vierge. Ça rappelle De Chirico. Il s'agit
d'une œuvre de décoration peinte sur le mur de séparation qui longe la
route numero 443 dans son tronçon entre Jérusalem et Atarot, dans les
territoires occupés. Le concept promu est clair - derrière le mur il
n'y a personne, rien, c'est la paix totale, les palestiniens, eux, se
sont tous volatilisés.
Avec mes sincères salutations,
Joseph Rabie
http://www.joetopia.com
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