Luc Dall'Armellina on Wed, 9 Apr 2008 13:39:02 +0200 (CEST)


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Réexp : [nettime-fr] potentiel esthétique IPv6


Bonjour à tous et à chacun,

Je prends la discussion un peu tard et dans le vif aussi.
Passionnants vos échanges sur la capacité ou non des technologies
à faire naître de nouvelles esthétiques.

Je dois dire que je partage assez largement l'avis de Olivier A.
et de Yann L.G sur la question suivante :
Les techniques et leurs applications pratiques et localisées (les technologies) révèlent/font elles naître de nouvelles potentialités et/ou situations esthétiques ? Si l'on dit non, comment alors expliquer qu'on ai pu continuer à faire de l'art après
Altamira ?
La chasse organisée avec des pièges creusés au fond desquels
étaient disposés des pieux est une cas de virtualité intéressante :
Elle répond à la question : Comment être là quand je n'y suis pas ?
Comment ce mode opératoire (un lieu, un trou, des pieux = un piège),
ce dispositif technique prend place et fonction jusqu'ici humaine ?
La technique prolonge à l'aide d'artefacts, depuis toujours.

Je sais on est loin  d'IPV6 mais on y arrive vous allez voir...

Comment expliquer ce mot d'Ingres disant à propos de la photographie
naissante : "La photographie, c'est mieux qu'un dessin, mais il ne faut pas le dire" ? On ne sait pas en fait si c'est mieux ou pas. Le fait est que c'est différent, que le fait d'avoir un boîtier dans les mains, qu'il possède une visée ou non, change le regard : à la fois du photographe et de son sujet. Le fait qu'il se produit un temps opaque d'invisibilités entre le cliché et la révélation entre dans la
constitution de l'esthétique photographique argentique.
La photographie propose du monde une autre esthétique que la peinture, non pas "simplement" parce qu'elle est technique, mais sans doute parce qu'à travers le dispositif technique la relation
de l'artiste et de son sujet est profondément transformée.

Je pense que chaque technologie est non seulement un mode opératoire
(il s'agit de faire des choses) mais une sorte de script d'actions portant/étant issu de telle culture, organisant telle vision du monde. On a coutume de dire qu'aux débuts du cinéma, l'héroïne ne changeait pas de vêtements pendant tout le film parce qu'avait peur de ne plus la reconnaître. On mesure que l'esthétique qui est née, à la fois de la technique cinéma mais aussi de son régime de croyances,
est motivée et irremplaçable.

Alors en matière de réseaux ?
Je viens de terminer une recherche de deux ans commandée par le CNRS (2005-2007) sur les liens qui existent entre les artistes de Net-Art, leurs oeuvres-dispositifs et leur(s) public(s). Il en ressort que les lignes de force composant le web 2 (personnalisation des espaces, logique de flux, données dynamiques, réseaux sociaux) étaient déjà perceptibles dans quelques-uns des 12 dispositifs
de l'étude et parfois mis en oeuvre à l'aide de moyens non numériques :
(je pense ici au pique nique de N. Frespech qui précède et où s'originent "Les secrets"). Ici les artistes inventent des protocoles techniques nouveaux (le TRML pour le collectif Téléférique dans le projet Reader)
Là ils anticipent le web 2.0 (Adam Project de Timothée Rolin)
Ici ils usent de la performance pour mettre en scène les changements liés à nos nouvelles relations Internet (Annie Abrahams)

Enfin, je rebondis sur l'appel de Clémos à une "économie du lien" pour proposer ces quelques éléments d'une "écologie du lien" : Pendant l'écriture de ma thèse ("Des champs du signe : du design hypermédias à une écologie de l'écran") j'avais rencontré le livre du psychanaliste et systémicien Jacques Miermont "Une écologie des liens - Ed. ESF" et j'avais été passionné par son propos. Selon lui, les relations humaines seraient structurables par trois « opérateurs temporo-spaciaux » permettant à la fois l’observation et l’implication : le rituel, le mythe, l’épistémè. Chacun de ces opérateurs reposant sur des systèmes de mémoire entrant en résonance :
( je cite :)
« Alors que les signes morphologiques peuvent être appréciés dans les trois dimensions de l’espace, les signes du lien nécessitent l’adjonction d’une quatrième dimension, la dimension du temps. Bien plus, ces signes ne prennent sens qu’en référence avec des systèmes virtuels, les mémoires, qui supposent l’adjonction d’espaces fictifs aux nombres de dimensions très élevé. » (...)

« Le rituel assure la canalisation des échanges, en modifiant la signification d’un système d’action à des fins de communication, ce qui structure la forme des signaux et génère des formes d’appartenance sociale ; la ritualisation a donc un effet de genèse de signes, ou sémiogenèse.

Le mythe assure la cohésion et la régulation des groupes humains, structure la transmission des informations et les systèmes de croyance (couple, famille, clan, entreprise, nation, etc.) ; l’action mythique a un effet de différenciation des unités sociales, de mise en ordre des relations entre l’homme et l’univers, entre l’homme et son semblable, ce qui le fait participer à un effet générateur d’organisation, d’ordre, ou cosmogenèse.

L’épistémè permet de maintenir les liens et de les complexifier malgré les effets de séparation ou de coupure ; elle assure les effets d’intelligibilité, structure les modes de connaissance et de reconnaissance, les systèmes de pensée qui questionnent la réalité, non comme un état de fait acquis, mais comme une question ouverte ; l’épistémè interroge l’état d’esprit commun à une unité sémantique (famille, clan, entreprise, nation, etc.), par la confrontation avec d’autres unités sémantiques : l’épistémè relativise les certitudes mythiques et idéologiques par la création d’unités d’esprit conflictuelles qui font surgir de nouveaux états d’esprit ; elle produit des effets de noogenèse. La noogenèse se déploie à partir de ce que Gregory Bateson nomme le schème de liaison, « the pattern witch connects ». »

( page 24 )

Lorsqu'on voit de quelle avance conceptuelle (±40 ans ?), Paul Baran et son équipe ont fait preuve en 1963 lorsqu'ils ont proposé leurs topologie des réseaux, qui allait devenir le socle cartographique et relationnel de TCP/IP et l'est encore aujourd'hui, on est saisi par cette créativité hors du commun. Et c'est bien avoir non seulement une idée technique, mais aussi une représentation particulière du lien (social et politique) que de faire cette topologie au moment où ils la font (peu avant 68). Leur proposition d'organisation possède/induit des valeurs/conséquences esthétiques et politiques par la forme même des échanges que leur protocole contient/permet.

Pour conclure, je proposerai que non seulement les technologies sont nécessaires pour fonder de nouveaux pactes esthétiques, mais qu'en milieu numérique, et dans la mesure où elles sont nées (côté software) de mots, de pensées mises en langages, entrés en performativité dans des programmes et dans le droit fil de l'art conceptuel, elles deviennent - pour partie et non exclusivement - de nouveaux lieux d'exercice de l'art à venir.

Luc Dall'Armellina

Altamira : http://fr.wikipedia.org/wiki/Altamira
Ingres : http://en.wikipedia.org/wiki/Jean_Auguste_Dominique_Ingres
Paul Baran : http://www.ibiblio.org/pioneers/baran.html


Le 8 avr. 08 à 18:52, clemos a écrit :
2008/4/8 y.le guennec <[email protected]>:
clemos a écrit :


Ce sont des sornettes. D'abord, parce que comme le fait remarquer
SUN, cette nouveauté technique n'est pas la révolution que vous
essayez de nous vendre; Ensuite parce que cette "économie du lien"
dont vous semblez vous réjouir, on sait depuis un moment que son
efficacité ultime consiste principalement à valider des rumeurs
calomnieuses, à pérsécuter des récalcitrants, à dénoncer des
dissidents, et à les punir.


faut quand même pas exagérer, si internet ne servait principalement qu'à
ça, est-ce qu'on serait encore ici en train d'en discuter ?

J'exagère à peine.
C'est une tendance dont on peut percevoir les signes assez facilement
et qui n'épargne aucun *protocole*, si vous préférez que je m'exprime
ainsi...
Pour le reste, je vois mal en quoi cette simple constatation pourrait
nous empêcher d'être "ici en train de discuter".

L' "économie du lieu", c'est précisément
le "PageRank" de Google, qui rend le contenu le plus populaire le
plus valide, et donc qui donne toujours raison à la masse contre
l'individu.


je n'y comprends plus rien, "économie du lien" ou "économie du lieu" ?

erreur de frappe, il fallait lire "économie du lien"

L'avenement d'IPv6 ne laisse présager aucune "forme de
légitimité nouvelle", et ne contredit en rien le principe du Web2.0,
dans la mesure ou chacun peut d'ores et deja construire son propre
site web 2.0 (qui émettra ET recevra depuis un serveur perso).


Oui, mais c'est un cas très particulier de ce que recouvre le buzzword web2.0. Il y a des différences fondamentales dans le web2.0 entre un réseau
de blog sur serveurs perso et un service de blogs centralisé type
blogger.com.

C'est au même type de différence que fait référence Olivier en comparant unicast et multicast, vus comme des fondements architecturaux, il me semble.

Cette question, cette différence, se pose en fait à tous les niveaux,
techniques dans le cas d'IPv6 (qui ne résout pas en tant que tel le
problème, mais ouvre des possibilités), mais aussi artistiques et
esthétiques dans le cas d'une pratique quelconque.

Pourtant, la différence fondamentale entre le web 1.0 et le web 2.0
n'est *pas* une différence de technologie, c'est une différence de
comportement des utilisateurs qui, autant que je sache, restent libres
d'aller et de venir dans et hors du web 2.0...
Le "problème" du web 2.0 ne se résoudra donc probablement pas par son
"obsolescence" technique prochaine (il est d'ailleurs, et a été dès le
départ, et à bien des égards *deja* obsolète), mais éventuellement par
la découverte d'un moyen encore plus efficace d'aliéner les personnes
par le lien.
Les "moutons" que vous tentez desespérement de "libérer" se fichent de
la liberté, à part de celle de pratiquer le partage frénétique des
données les plus insignifiantes possibles, d'autant que cette
"liberté" supplémentaire que vous souhaiter leur offrir, je peux déjà
vous prédire qu'ils l'emploiront à amplifier encore la crétinerie
infinie de leur "buzz".
Autant dire que vous les libérer d'un joug fantasmatique (l'emprise
des grosses sociétés) pour les précipiter tout entier l'absurdité
intégrale de leur propre non-liberté de petits êtres brassant du vide.

Par exemple, on peut considérer que l'art est le produit de quelques
professionnels hiérarchisés par un système de cotation sur un marché réservé à une élite financière. Ou alors, on peut considérer que l'art est une pratique ouverte à tous dans un système a-centré d'échanges de valeurs
symboliques et matérielles.

La première définition peut être un sous-ensemble de la deuxième, mais
l'inverse n'est pas possible.

Dans cette alternative, quel choix est le votre?

Je ne vois pas du tout ce que ces définitions insensées viennent faire ici:
Autant dire que l'arrivée d'IPv6 pourrait résoudre le conflit
israëlo-palestinien...
C'est tout de même l'occasion de préciser qu'à mon sens, le "potentiel
esthétique" d'une technologie est absolument nul: Un livre a t il
moins de "potentiel esthétique" qu'un ordinateur ?
Les "possibilités" qui s'ouvrent avec IPv6 sont d'ordre purement
technologique, l'esthétique n'a rien à voir là dedans, à part à penser
que le progrès techno-scientifique induit un progrès esthétique, ce
qui est totalement absurde: les oeuvres d'art d'aujourd'hui seraient
meilleures que celles d'hier ? Laissez moi rire.

2008/4/8 S/U/N <[email protected]>:

Il se trouve que je traine mes basques, un peu comme Clémos depuis 1998 sur
le réseau, et des lutins poilus, j'en ai vu débarquer des wagons.
Wé on est des vieux de la vieille comme on dit.

Euh en fait je suis pas un vieux de la vieille, j'ai écrit ma première
page HTML après 2000,
Mais ça n'a pas vraiment d'importance.
Tout cela montre seulement que c'est précisément la confusion entre
esthétique et technologie (ou leur indifférenciation, apparemment
pronée par beaucoup ici), et toutes les discussions insensées qui
s'ensuivent, qui n'aboutissent qu'à des absurdités comme
l'épanouissement artistique par IPv6.

2008/4/8 y.le guennec <[email protected]>:

Je crois que là, il reste 3 possibilités à S/U/N et Clemos:

- disparaitre drapés dans la dignité

CQFD au sujet de la dénonciation calomnieuse et de la possible
persécution généralisée.
A qui vient-il à l'esprit, dans une discussion face à face, de dire
une telle chose à son interlocuteur ?
Comme je l'ai déjà dit, le terme "troll" est tout à fait symptomatique
de la mentalité qui prévaut sur internet...
Mais surtout, c'est ce terme, et toute la bienséance électronique qui
va avec et qui fait l'unanimité, réduit *considérablement* les
"possibilités esthétiques" du réseau.
Je ne donnerais pas une demi-journée à un Nietzsche ou à un Céline
pour ce faire exclure de tous les cercles de l'internet...

- négocier honorablement en reconnaissant les erreurs

Allons-y tant qu'on y est: reconnaissons nos erreurs, en particulier
quand les autres **ne sont même pas capables de les démontrer**

- sortir des gonds et trouver une attaque plus vile que celle de
l'ancienneté (bande de noobs! ;-).

Quant à vous, vous feriez mieux de trouver autre chose que l'attaque
du "troll", qui est non seulement imméritée, mais surtout démontre
votre conformisme sans limite dans la consensualité et la modération
mentale (ne pensons pas trop fort!)

++++++
Clément



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