/b/u/g/ on Fri, 3 Dec 1999 09:17:57 +0100 (CET)


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[nettime-fr] La machine de guerre du cine-oeil


m u l t i t u d e s   o n   l i n e
....................................




    LA MACHINE DE GUERRE DU CIN�-OEIL
    ET LE MOUVEMENT DES KINOKS LANC�S
    CONTRE LE SPECTACLE




    Par Maurizio Lazzarato



1. 
A l'int�rieur du processus revolutionnaire russe le mouvement de Kinoks,
sous l'impulsion de Dziga Vertov, nous offre la possibilit� de voir
fonctionner une "machine de guerre" lanc�e contre la machine capitaliste de
production de l'image et de la repr�sentation. La conceptualisation
vertovienne et la pratique des Kinoks anticipe, en la deplacant
completement, la critique du "spectacle" comme elle a �t� con�ue � la fin
des ann�es '60 et se pr�sente, sous beaucoup d'aspects, comme actuelle.
Comme Vertov a essay� de demontrer, pour resister au spectacle, il faut
atteindre la "machine" qui le produit. La critique du "spectacle" ne peut
pas �tre pens�e seulement, comme le font les situationistes, en tant que
"�loignement du r�el dans la representation" ou comme renversement du monde
dans l'image. En effet la reconnaissance de l'"ali�nation du directement
vecu" dans l'image et la repr�sentation t, ne nous fait pas sortir du monde
de la repr�sentation et de l'image. Paradoxalement m�me dans le domaine des
tecnologies cin�matografiques (mais aussi vid�o et num�riques) vaut le
programme foucauldien de g�nealogie des techniques disciplinaires "Ni sc�ne,
ni spectacle, ni repr�sentation, mais machine". Et cette machine est � la
fois esth�tique, s�miotique, technologique et sociale.
Lancer une "offensive contre le monde visible" organis�e par le capitalisme
requiert imp�rativement l'int�gration des ces differents agencements.
Pendant tout le restant du si�cle la complexit� et la radicalit� (dans le
sens d'aller aux racines des choses) de cette position sera dilu� en
critique esth�tique, politique ou sociale la plus part du temps oppos�s et
incompatibles. M�me le gruope godardien "Dziga Vertov" qui se refesait
explicitement � cette exp�rience ne sera qu'une tr�s pale et timide allusion
� la complexit� de la "vision" vertovienne..

2.
La revolution sovi�tique n'est pas interpret� par Vertov seulement comme
effondrement du pouvoir et des institutions capitalistes en Russie, mais
aussi comme effondrement de l'"homme" et "son monde". Le cin�ma est
immediatement compris comme expression machinique des forces qui, se
composant des fa�on differentes avec les forces "dans l'homme" (force de
voir, de sentir, de percevoir, de penser), ouvrent � des nouvelles formes de
subjectivations. Ces "forces du dehors" que le capitalisme fait surgir en
premier plan, sont d'abord les forces du temps et du virtuel qui trouvent
dans des machines ("machines � cristalliser le temps") des puissants moyens
d'expression. La cam�ra lib�re la perception et la pens�e du centre du
gravit� qui les encraient au corps humain. Le "cin�-oeil" (que Vertov
appelle aussi "machine-oeil") se meut � l'int�rieur d'une m�tamorphose
perpetuelle, un mouvements interrompu des corps en nous rendant sensible une
nouvelle mati�re, des nouveuax affects et des nouvelles forces. Ainsi, dans
l'intensit� des premi�res images cin�matographiques le "monde" semble
ebranl� et perdre sa solidit� et sa stabilit�. Du devenir des corps le
cine-oeil capte leur intensit�, leur �l�ment incorporel, en introduisant non
seulement le mouvement dans l'image, mais aussi le temps. Les mouvements
aberrants  de la cam�ra et du montage nous introduisent � une exp�rience
directe du temps, des dur�es et des vitesses qui ne sont plus eulements
humaines. 
En saisissant dans le d�venir des corps la virtualit� d'un monde
deterritorialis�, le cinema fait allusion � un nouveau corps et � une
nouvelle pens�e. Avec le cin�ma on est d�venu des mutants de la perception ,
de la vision et de la pens�e, de la m�me fa�on que dans les unises l'homme
s'est hybrid� irreversiblement avec les machines m�caniques et
thermodynamiques. L'"homme" d�couvre avec horreur ou avec joie qu'il ne
pense pas avec la conscience, mais � travers de machines: machines � voir et
machines � penser. Au d�but de l'aventure cin�matographique la "pens�e
visuelle" renouvelle la tentative de Leibniz et de Spinoza de saisir
l"automate incorporel" qui enchaine les images en d��� et au del� de la
conscience. Le mouvement de Kinoks designe cel� comme le terrain de lutte de
classe.

3.
Le capitalisme fait surgir un nouveau "visible" dont le sujet ("Je vois")
n'est pas le sujet psychologique et dont la forme sociale ne peut pas �tre
reduite au public. Ce dernier annonce un sujet collectif et multiple qui ne
peut pas �tre appr�hend� seulement par "le client assidu" des salles
obscures. Le nouveau prol�tariat en constitution chez Vertov, n'est pas
seulement une ref�rence id�ologique, mais tout d'abord un paradigme
esth�tique et productif d'agencement : l'usine � la place du th�atre, le
cybor de l'ouvrier collectif, agencement de l'homme et la machine, � la
place de la repr�sentation subjective. Le d�chiffrement du visible ne peut
pas donc �tre op�r� par des technologies litteraires, dramaturgiques ou
graphiques, mais seulement par une machine : la machine cin�matographique.
Le "je vois" du cin�-oeil est un processus de singularisation du corps
collectif du proletariat qui agence � la fois les forces dans l'homme,
dispositifs technologiques, flux temporels et agencement sociaux.
Pour vivre cette mutation du point de vue de classe selon Vertov la premi�re
n�cessit� est celle de ne pas renfermer le cin�ma sur lui m�me et de saisir
la sp�cificit� "temporelle" de ces nouvelles machines et leur agencements
imm�diatement social. En effet le cin�aste, le producteur et le public
collaborent plus au moins consciement � la reproduction de leur propres
r�les, en enrichessant, chacun selon leur sp�cificit�, les focntions
d'assujettissement et d'asservissement de la machine de production
capitaliste de l'image et de la repr�sentation. De la m�me fa�on, le
caract�re de masse de la comunication cin�matographique est une condition
formelle de la communication cin�matographique m�me, qui doit �tre int�gr�
en tant que telle dans la production de film.

4.
Renfermer le cin�ma sur lui-m�me est ce que Vertov  d�nonce comme une
op�ration de prises de pouvoir de sa forme commerciale et sa forme
artistique sur d'autres formes de production possibles.
"Le cin�ma actuel, con�u comme une activit� commerciale, de m�me que le
cin�ma con�u comme un secteur de l'art, n'a rien de commun avec le travail
qui est le n�tre."
Il ne s'agit pas de produire de contenus diff�rents (artistiques,
politiques, sociales) � l'int�rieur de la structure cin�matographique, mais
de d�truire le cin�ma en tant que machine capitaliste de production du
visible, de la perception et de la pens�e, sur son propre terrain. "Vive la
vue de classe" ne se ref�re pas � un "autre vision"  du monde (plus ethique,
plus politique, plus esth�tique), mais tout d'abord � un autre agencement
corporel , technologique et d'�nonciation. Seulement � cette condition
toutes les fonctions "cin�matographiques" pourront �tre r�agancer ( mais en
changeant ainsi de nature).
Vertov per�oit tr�s profondement que les processus machiniques et sociaux de
cr�ation, les virtualit�s de nouvelles formes de perception et de nouvelles
formes de pens�e que la lutte de classe a suscit� dans le monde sont
constamment rabattues sur le rapport "spectateur-r�alisateur".
Le cin�-drame (avec ses acteurs, ses sc�narios, ses studios, ses metteurs en
sc�ne) est la forme sous laquelle la "repr�sentation" s'empare des nouveaux
moyens d'expressions et reduit le corps collectif que la r�volution mondiale
a fait �merger en public.
Vertov ne sait pas ce que peut cette nouvelle corporalit� et ce que peuvent
les formes d'expression collectives de ce sujet mutant et en constitution du
prol�tariat industriel. Mais il sait que la "cin�-sensibilit�" est un enjeu
politique majeur.

5.
Toute la pol�mique de Vertov contre Hollywood ( et aussi, avec des nuances
la pol�mique avec Ensenstein) est organis�e autour de la n�cessit� pour la
revolution de soustraire le cin�ma aux images et � la repr�sentation. Vertov
veux faire exploser l'agencement technologique et la division du travail
du"cin�ma" car ils rabattent les forces du temps et leur composition avec
les forces dans l'homme sur la repr�sentation et l'image.
Le cin�ma risque, avec ses prises de vue statiques et ses rythmes
standardis�s, de flatter notre oeil qui "voit tr�s mal et tr�s peu", au lieu
de d'explorer, ind�pendamment de la position de notre corps pendant
l'observation, le cahos des ph�nom�nes visuels qui remplissent l'espace,
("Je suis le cine-oeil. Je suis l'oeil m�canique. Moi, machine, je vous
montre le monde comme seule je peux le voir. Je me lib�re et pour toujours
de l'immobilit� humaine, je suis dans le mouvement interrompu.....Lib�r� de
l'imp�ratif des 16-17 images par seconde, lib�r� des cadres du temps et de
l'espace, je juxtapose tous les points de l'univers o� que je les aie
fix�s...). Le programme de Kinonks est au contraire de d�velopper les
"accidents" de tournage - prise de vue rapides, la microprise de vue, la
prise de vue mobile, la prise de vue avec les angles de vue les plus
innatendus etc. - dans un syst�me de "abberations apparentes" qui nous
pousse vers la perception du temps ("Le cine-oeil se d�finit comme comme le
microscope et le t�l�scope du temps..."). Le cin�-oeil m�ne � une perception
neuve du monde, il "d�chiffre" d'une mani�re nouvelle un monde inconnu.
A l'int�rieur de la division du travil cin�matographique, les sc�narios
fonctionnent comme des dispositifs normatif de la production pour enlever
toute la dimension evenementielles � la pratique cin�matographique : "la
kinopravda ne prescrit pas � la vie de se d�rouler conform�ment au sc�nario
de l'�crivan, mais elle observe et enregistre la vie telle qu'elle est et ne
tire que plus tard les conclusions de ses observations". Le sc�nario insiste
Vertov est l'invention d'une seule personne ou d'un groupe de personne et
non la rencontre evenementielle avec un monde qui nous est inconnu ("En
allant du mat�riau � l'oeuvre cin�matographique (et non de l'oeuvre au
mat�riau) les kinoks s'attequent au dernier - et plus coriace - rempart di
cin�matographe artistique, le scenario litteraire").
La simulation d'un �v�nement par un realisateur est d'importance secondaire
par rapport � l'innactualit� du "temps r�el" de la vie. Ces deux points de
vue diff�rents demandent de qualit�s et des organisations du travail
completement diff�rentes.
Si la cam�ra est l'oeil-machinique qui nous permet d'�tre dans le mouvement
innenterrompu, de se couler dans la variation perpetuelle des corps, le
montage ne doit pas ramener ce nouveau visible � la perception humaine et �
ses prejug�s (la psychologie de l'oeil et son fetichisme linguistique dirait
Nietzsche). Le montage vise l'"organisation du monde visible", mais en
respectant la dimension temporelle et les forces qui le constituent ( "on a
fait bien des tentatives dans cette direction .Et il faut dire qu'on a
obtenu certains succes en la mati�re. Il existe des tableaux des montages
qui contiennent des calculs semblables � un syst�me de notation musicale,
une �tude de rythmes et d'"intervalles" etc;).
 A salle de projection ("dans l'opium �lectrique des salles de cin�ma le
spectateur intoxiqu� par la cin�-nicotine t�te l'�cran qui lui chatouille
les nerfs") le mouvement de kinokss pref�re les usines, les trains ("Je
dirige un cin�-wagon, nous donnons une s�ance dans une station perdue") et
les bateaux. En d�vellopant ainsi une suggestion de Kafka il monte de moyen
de communication qui nous font voyager dans le temps (de l'image, de la
parole) sur des moyens de communication qui nous font voyager dans l'espace .

6.
Vertov repete inlassablement que l'objectif du cine-oeil de est voir, faire
voir ("Le cine-oeil fait ouvrir les yeux, eclarcit la vue"), car nous ne
voyons pas encore. .
Le cin�-oeil permet de mettre en relation un mouvement et une image dans un
point quelconque de l'univers avec une reaction appropri� d'un autre
mouvement et d'une autre image dans un autre point quelconque de l'univers.
Ces images et ses mouvements sont incommensurables et impercettibles du
point de vue de l'oeil humain.("Le cin�-oeil c'est la possibilit� de voir
les processus de la vie dans tout ordre temporel inaccesible � l'oeil
humain, dans toutes vitesse temporelle inaccesibles � l'oeil humain.")
Le cin�-oeil doit d�nicher dans le chaos du mouvement la "resultante du
mouvement propre", qui nous est encore inconnue, il doit produire "parmis
toutes les interaction, interattractions, interrepoussages des images, toute
cette multitude d'intervalles, la simple equation visuelle, la formule
visuelle qui exprime le mieux le sujet essentiel du film.."
L'objectif est de se livrer directement � l'�tude de ph�nom�nes visuels qui
nous entourent. et qui son constituf de la vie ("L'art et la vie quotidienne
nous int�ressent moins, par exemple, que le th�me "La vie quotidienne et son
organisation."). Vertov a une conscience aigu que ce que le cin�ma annonce
est la r�organisation des "processus de production de subjectivit�s" autour
des machines � cristalliser le temps.
La realisation de ce projet d�mande une organisation sociale et technique
qui ne peut pas reproduire la division du travail du cin�ma. Vertov prevoit
une production qui se d�veloppe en six s�ries. Toutes le cin�-oeuvre des
Kinoks que l'on peut encore voir ne concernent que la premi�re s�rie ("la
vie � l'improviste").
"Dans cette s�rie la cam�ra entre prudemment dans la vie, apr�s avoir choisi
un quelconque point un peu vulnerable, et elle s'oriente dans le milieu
visuel o� elle aboutit. Dans les s�ries suivantes, en m�me temps
qu'augmentent le nombre de cam�ra, l'espace plac� sous observation
s'�largit. La juxtaposition de diff�rents endroits du globe terrestre et de
diff�rents morceaux de vie fait peu � peu decouvrir le monde visible. chaque
s�ries ajoute de la clart� � la compr�hension de la r�alit�. Des millions de
travailleurs ayant reconqueri (?) la vue mettent en doute la n�cessit� de
soutenir la structure bourgeois du monde."
Le m�me materiau visuel passe au fur et � mesure � une analyse plus
approfondie et � une reorganisation pour mettre en lumi�re les relations et
les rapports des sujets trait�s en utilisant tous les moyenstechniques et
formels du cin�ma. Pour Vertov la "fabrique des faits" requierts des
"kino-observateurs" qui poroduisent des "cin�-observations" et des
"cin�-analyses" dans le cadre d'un cin�ma de po�sie. Le cin�ma a
imm�diatement abbanodonn� ce devenir possible et seulement dans le taravil
des video-artsite on peut retrouver une reinvention de cette m�todolgie.
La "cin�-sensation" est interpret� par Vertov comme une force constitutive.
La cin�-liason, lien de classe visuel (cin�-oeil) et auditis entre les
proletaires de toutes les nations, est une anticipation des r�seaux
t�l�visuel, t�l�matiques te sattelittaires que le pouvoir et les march�s
utilisent pour la production et l'aaservissement.
"Le cin�-oeil c'est l'espace vaincu, c'est le lien visuel �tabli entre les
gens du monde entier, fond� sur un �change incessant de faits vus, de
cin�-documents , qui s'oppose � l'�change de repr�sentation
cin�-th�atrales."

7.
L'originalit� de la critique de l'image comme r�ification du visible tient
au fait que pour Vertov l'�l�ment g�n�tique du visible est l'intervalle. Le
visible n'est pas fait seulement d'image. Il faut, au contraire, decouvrir
ce qui il y a "entre" les images (les intervalles, les rythmes,  les
mouvement abberants).
"L'�cole du cin�-oeil exige que le film soit b�ti sur les "intervalles",
c'est-�-dire sur le mouvement entre les images...Les intervalles (passages
d'un mouvement � un autre), et nullement les mouvements eux m�mes,
constituent les mat�riaux, les �l�ments de l'art du mouvement."
L'intervalle (saut, coupure, blanc) n'est donc pas ce que le raccord aura
pour fonction de suturer, recouvrir, d'effacer, d'apprivoiser pour notre
oeil humain ("trop humain"), mais le fond non-imag�, le flux
d�territorialis� de d�ploiement des images. L'intervalle, irreductible �
l'image et au mouvement , est au contraire leur source, leur origine et leur
la cause. L'interval est ce qui ne se reduit pas au discoursif et au
figuratif.
On retrouve des accents bergsoniens dans cet effot d'exc�der la
repr�sentation et les images par les "intervalles": "La mati�re premi�re de
l'art du mouvement n'est nullement le mouvement lui-m�me, mais les
intervalles, les passages, le passages d'un mouvement � l'autre."
Le "Cin�-Oeil" est une machine  de contraction-d�tente (cristallisation) du
temps. 
"L'oeil m�canique de la cam�ra en se laissant attirer ou repousser par les
mouvements ouvre le chemin de son propre mouvement ou de sa propre
oscillation, et fait des exp�riences d'�tirement du temps, de d�membrement
du mouvement ou au contraire d'absortion du temps en lui-m�me...Le cin�-oeil
c'est la concentration et la d�composition du temps."
Si, comme affirment les situationnistes "toute la vie de nos soci�t�s
s'annonce comme une immense accumulations des spectacle" e si "le spectacle
est le capital � un tel d�gr� d'accumulation qu'il devient images", il faut
pousser l'analyse au d�l� de la marchandise-image. Marx indique dans le
rapport entre temps et subjectivit� la clef qui nous d�voile l'enigme du
travail et de la marchandise comme "cristallisation du temps. Le cin�ma et
l'analyse de Vertov nous proposent � la reflexion une autre cristallisation
du temps. Le cin�ma est le premei�re machine d'un nuoveau type de machine
qui fix� et reproduit le temps de la perception, de la sensibilit� et de la
pens�e. 

8.
Le cin�ma montre montre pratiquement que la pens�e deborde la conscience de
la m�me fa�on que les images debordent la perception. L'homme a perdu la
certitude d'�tre le seul � produire les pens�e et les images. Ce qui est en
jeu donc est la puissance de penser, l'image de la pens�e et de son
processus de cr�ation � l'�poque de l'effondrement de l'"homme" et son
monde. 
La "pens�e visuelle" que le cine-oeil realise s'agence � l'"automate
incorporel" qui "agitent des cercles d'id�es" dans la m�moire et ouvre la
possibilit� de faire tomber les pens�es directement, sans passer par des
s�miologies linguistiques, de l'�cran dans le cerveau du spectateur.
"Il faut que les pens�es jaillisent directement de l'�cran, sans le
truchement des paroles. C'est un contact vivant avec l'�cran, une
trasmission de cerveau � cerveau...Chacun p�n�tre dans un cercle d'id�es qui
s'agitent en germe dans sa propre conscience."
Le cin�-langage que Vertov oppose au langage parl� et au langage litteraire
fait allusion la complexit� des forces et des signes qui agissent pour
produire la pens�e.
"Il s'agit seulement du fait que l'�nonc� des Trois chants ne passe pas par
le mots mais par d'autres voies, par la ligne d'interaction du son et de
l'image, par la resultante de multiples canaux (...tant�t dans le son,
tant�t dans l'image, tant�t dans l'intertitre, tant�t par le cadrage interne
du mouvement, tant�t par �-coups du sombre au lumineux, du lent au rapide,
du nonchalant au vif, tant�t par le bruit...), qu'il passe par des voies
souterraines en renvoyant parfois � la surface une dizaine de mots."
Cette image de "quelque mots renvoy�s � la surface" montre bien que le
"cin�-langage" est un instrument puissant de destitution de l'imperialisme
des semiologie signifiantes qui imposent le fetischime du sujet et de
l'objet au processus de production de la pens�e. Les mots �crits et
prononc�s dans un film ont "un chemin trac� en contre-point" par rapport aux
s�miotiques non-signifiantes. C'est une autre image de la pens� que le
cin�-oeil fait briller dans l'�cran.

10.
La perception non-humaine du cin�-oeil renvoit au sur-homme, � l'homme
nouveau, qui chez Vertov n'a rien de l'"humanisme communiste". Chez Vertov
il n'y a aucun aucune opposition entre l'homme et la machine, car il assume
la "deuxi�me" nature que le capitalisme produit, � la fois comme r�alit�
irreversible et condition de d�passement de l'"homme": "cine-oeil" et
"radio-oreille" (aujourd'hui il parlerait surement de "ordinateur-cerveau")
sont des hybrides par lequel le sujet collectif de la r�volution doit voir,
parler, entendre. Corps machinique, cybor de la vision, de la perception et
de la pens� qui doit s'exprimer en tant que tel, sans passer par des
mediations. A la concentration technologique et financi�re du cin�ma le
cin�-oeil repondre avec une "micro-politique" qui implique une socialisation
du savoir-faire et une miniaturisation de la technologie.
"Nous n'avons pas le moindre besoin d'immenses ateliers, de d�cors
grandiose, non plus que de metteurs en sc�ne "grandioses", de "grands
artistes et de femmes photog�niques "sensationnelles".
Par contre, il nous faut absolument :
1) des moyens de transport rapides,
2) de la pellicule � haute sensibilit�,
3) des petites cam�ras � main ultra-l�g�res,
4) des appareils d'�cliarages tout aussi l�gers,
5) une �quipe de de cin�-reporters ultra-rapide,
6) une arm�e de kinoks-observateurs.

Dans notre organisation , nous distinguons :
1) les kinoks-observateurs,
2) les kinoks-op�rateurs,
3) les kioks-constructeurs,
4) les kinoks monteurs (homme et femmes)
5) les kinoks-techniciens de laboratoire.
Nous n'insegnons nos proc�d�s de cine-travail qu'aux komsomols et aux
pionniers, remettant ainsi notre savoir et notre exp�rience technique entre
les mains s�res de la jeunesse ouvri�re montante".
Vertov pensait que la caract�ristique de "masse" du cin�ma ne devait se
limiter seulement � la diffusion, mais devait inclure imp�rativement la
"production" aussi, sous peine d'"expropriation" de la puissance
d'expression. La critique du "cin�-drame" trouvait son completement dans la
critique pratique � la concentration et contr�le des moyens de production
par l'industrie du cin�ma (de ce point de vue le pouvoir sovi�tique ne
faisait que reporduire l'organisation du travail qu'il voulait critiquer. Au
cin�ma de gauche et � son "engagement" il opposait une "micropolitique" qui
seule pouvait mettre � disposition des travailleurs sovi�tiques la
possibilit� de construire la "cin�-liasion" qui �tait strategique dans les
processus de subjectivation collective.
La forme collective du cin�ma doit s'articuler..."Ce Passage de la cr�ation
par un seul auteur ou un groupe de personnes � la cr�ation de masse conduira
aussi, pensons nous � accelerer le naufrage du cin�matographe artistique
bourgeois et des ses attribus : l'acteur grimacier, la faible-sc�nario et
les jouets couteaux que sont les d�cors et le grand pr�te-r�alisateur."

11.
Vertov a �t� , peut-�tre, le seul qui a pens� et organis� le cin�ma n'ont
pas comme "art des masses", mais comme une activit� de masses, une activit�
constitutive.
Vertov ne travaille pas comme un "artiste", mais comme un r�lais �
l'int�rieur d'un r�seau de correspondents eparpill�s dans toute l'Union
sovi�tique. Il travaille � l'int�rieur d'un flux qui le d�borde de tout part
et qu'il ne peut pas et il ne veut pas contr�ler. Cette conception du
"travail" met en discussion toute division entre "travail intellectuel" et
"travail manuel" et par consequence la figure de l'artiste, de l'auteur et
de l'intellectuel ("Le pr�sent film constitue l'assuat que les cam�ras
livrent � la r�alit� et prepare le th�me du travail cr�ateur sur le fond de
contradictions de classe et de la vie quotidienne.")
Le travail de Kionks ne peut pas �tre consid�rr� comme travail artistique,
mais doit se reconna�tre dans la plus vaste production de l'�tre et du sujet
collectif 
"la cellule des kinonks rouges doit �tre consid�r�e comme une fabrique
parmis d'autres o� la mati�re premi�re fournie par les kinoks observateurs
est transform�es en cin�-oeuvres � venir" ).
La position de Vertov n'a rien � voir, �videmment, avec l'id�ologie
anti-intellectuele et populiste de l'artiste prol�taire (le
prol�taire-r�alisateur comme pendant de l'�crivain-prol�taire). Ce qu'il
affirme est le fait que le Cin�-Oeil contient des agencements qui ouvrent de
territoires inconnus au d�l� de l'auteur et de l'artiste, de d�v�nir qui
contiennent les virtualit�s d'autres paradigmes esth�tiques, sociaux et
productifs 
 

12.
La m�thode de la machine de guerre consiste dans le fait de pousser encore
plus loin la d�t�rritorialisation des flux, l'hybridation homme-machine, la
concentration et la decomposition du temps et le d�veloppement de la
cine-liasons. Et de les reterritorialiser sur un nouveau corps. Si on pousse
l'agencement cin�matographique � un niveua ult�rieur de d�t�rritorialisation
et de socialisation on aura la vid�o.
L'agencement technologique du cin�ma est ,en r�alit�, utilis� par Vertov
comme une anticipation de la vid�o. D�s la naissance de l'exp�rience
revolutionnaire des Kinoks Vertov filme , organise et pense par et avec la
"t�l�-diffusion des images et de sons.
"Du point de vue de l'oeil humain, je n'ai effectivement pas des raisons de
me montrer � c�t� de ceux qui, par exemple, se trouvent dans cette salle.
Cependant , dans l'espace du cine-oeil, je peux faire un montage de moi non
seulement assis � c�t� de vous, mais mieux, dans diff�rents points de la
terre. Il serait ridicule de placer devant le cine-oeil des obstacles tels
que murs ou la distance.En pr�vision de la t�l�vision, il faut comprendre
que, dans le montage, cette "vision � distance" est possible.
La t�l�vision est selon Vertov non seulement l'agencement technologique plus
ad�quat � la d�territorialisation des flux, � leur circulation, coupure,
montage, mais aussi l'agencement technologique plus ad�quat � la dimension
sociale et collective de la production de la vie, que le capitalisme a
introduit comme son pr�suppos� .
"le proc�d� de radio-transmission des images , invent� � notre �poque,
pourra nous rapprocher plus encore de notre but essentiel ....Etablir un
lien de classe visuel (cin�-oeil) et auditif (radio-oreille) entre les
prol�taires de touts les pays, sur la plateforme du d�chiffrement communiste
du monde."
Vertov ne se pose aucun de probl�me que la cin�philie du monde entier se
pose par rapport � la t�l�vision, car pour lui elle est toute naturellement
un d�veloppement et une n�cessit� des formes de coop�ration productives,
perceptives et de cr�ativit� du corps collectif et multiple que le
capitalisme et la lutte de classe �voquent.
Pos� dans ce terme ( quand la t�l�vision n'existait pas encore comme
dispositif technologique) le probl�me de la t�l�-diffusion des images et de
sons nous eviterait tous les faux d�bat entre les alternatives "artistiques"
et "culturelles". 

13.
Les concepts de "Cin�-oeil" et de "Radio-oreille" ne doivent rien � la
fascination futuriste pour les machines comme il sont souvent d�crits. Mais
ils sont au contraire une articulation tr�s precise � la fois des nouvelles
conditions de production de subjectivit� et et des rapports que cette
nouvelle configuration d�t�rmine par rapport � la technologie.
La machine sociale prime toujours sur la machine technologique.
" Meme dans le domaine de la technique , nous n'avons partiellement � faire
avec ce qu'on appelle, le cin�ma artistique, car l'ex�cution des t�ches que
nous nous sommes pos�s exige une conception autre de la technique."
 C'est le montage particulier et sp�cifique entre agencements sociaux,
technologiques, formes esth�tiques et r�seaux qui impose la n�cassit" d'une
technologie et non l'inverse. Les mouvements des Kinoks anticipe sur
l'agencements technologique qui ne nait de ses articulations comme une
n�cessit�.
"Les r�alisations pratiques et th�oriques des kinonks (� l'oppos� du
cin�matographe jou�) ont d�fini nos possibilit�s techniques et attendent
depuis lontemps la base technique retardataire (par rapport au "cin�-oeil")
du cin�ma et la t�l�vision sonore."
Dans une situation technologiquement arri�re comme celle de l'Union
Sovi�tique au milieu des ann�es 20, les Kinoks anticipent sur la t�l�vision .

14.
L'impossibilit� de monter cette machine de guerre micro-politique dans la
r�volution et l'ecrasement "hollywoodian" de tout d�venir du cin�ma dans le
cine-drame (commercial ou artistique) a aboutit tr�s logiquement dans le
cin�ma de Leni Rifenstheil.
Le pouvoir sovi�tique a pr�fer� avoir ses artistes (Einsenstein) que une
machine de guerre, qui presuppos� une remise en question radicale de sa
conception du pouvoir. L'anticipation formidable que les formes de
communication de la r�volution portait en soi s'est d�velop�e en
"spectacle". Si les Situationnistes ont eu le merite d'indiquer la nouvelle
forme de la domination, ils n'ont m�me pas effleur� la machine de guerre
qu'il faudrait lui opposer.
M�me le cin�ma d�s qu'il a voulu se remettre en discussion (n�eorealisme,
nouvelle vague) il a du puiseer � sa mani�re dans cette vitaulit� du
cin�-oeil.

15.
L'exp�rience extraordinaire de mouvement de Kinok a �t� la seule � agencer
des machines � cristalliser le temps � l'int�rieur d'un processus de
constitution d'un corps r�volutionnaire au d�l� de la propoagande et de la
repr�sentation artistique. Bloqu�e d�j� son d�marrage cette exp�rience ne
nous dit pas encore qu'est-ce que peut ce nouveau corps . Mais, aujourd'hui
que des nouveaux dispositifs technologiques, que des nouvelles machines �
cristalliser le temps , reprosent l'actualit� d'un "corps sup�rieur", cette
exp�rience peut toujours nous rappeller ce � quoi il faut resister:
- au rabattement de la variation universelles, des flux d�territorialis�s,
de la mati�re-temps sur l'image et la repr�sentation.
- au rabattement des nouveaux processus de production de subjectivit� sur le
spectateur ( artistique ou commerciale a peu d'importance)
- au rabattement de l'agencement constitutif du corps collectif en
instrument industriel ou en agencement esth�tique.
- au rabattement des nouvelles formes de coop�ration et des nouvellles
formes de savoir sur l'auteur et l'artiste.


[ Ce texte a �t� publi� dans la revue "Persistance" ]
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/ b / u / g /

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