/b/u/g/ on Fri, 3 Dec 1999 09:21:04 +0100 (CET) |
[Date Prev] [Date Next] [Thread Prev] [Thread Next] [Date Index] [Thread Index]
[nettime-fr] De l'appropriation militante d'Internet... |
m u l t i t u d e s o n l i n e .................................... DE L'APPROPRIATION "MILITANTE" D'INTERNET EN CONTEXTE ASSOCIATIF Engagement distanci� et sociabilit�s digitales Par Fabien Granjon Force est de constater que les groupements associatifs anim�s par un souci g�n�ral d'avanc�e d�mocratique, se sont empar�es des technologies de la communication au fur et � mesure de leur mise � disposition par le march� et/ou par les autorit�s politiques. Faisant �cho � un paysage m�diatique dont les conditions d'acc�s se sont lib�ralis�es, une d�marche exp�rimentale d'appropriation de ces "nouveaux" outils s'est investie tour � tour dans la vid�o l�g�re, la production audiovisuelle, la radio, les r�seaux c�bl�s, la t�l�matique et aujourd'hui l'Internet, avec cette id�e d'ent�riner dans les faits un pluralisme de diffusion et de cr�ation, afin que des voix nombreuses et diverses se fassent entendre et qu'il y ait, de facto, une diversit� des sources d'information permettant � la soci�t� civile de se d�partir de la tutelle des pouvoirs constitu�s. Dans La r�volution mol�culaire, F�lix Guattari [Guattari, F. : 1977] exprimait d'ailleurs une identique appr�hension de la situation et parlait volontiers de l'exigence d'instruments de lutte contre "les formes diverses de matraquage et de domestication". L'intuition de pouvoir cr�er de nouvelles pratiques sociales et de nouvelles sociabilit�s, � partir m�me d'un d�veloppement renforc� des usages li�s � ces technologies de communication, a �galement jou� un r�le pr�pond�rant dans ce choix de pourvoir la soci�t� civile de machines � communiquer plus performantes. Cet int�r�t toujours renouvel� pour l'innovation technique que l'on pr�suppose donc, aussi, toujours susceptible d'�tre � la base de nouvelles dynamiques sociales, cache finalement un bilan pour le moins en demi-teinte, dans tous les cas bien en de�� des esp�rances initialement attendues par les promoteurs-animateurs de ces divers projets. Paradoxalement, les choix techniques n'ont gu�re �t� pens�s comme recouvrant toujours des choix strat�giques orient�s. Ils n'ont �t� que peu consid�r�s comme des lieux de pouvoir o� peuvent se d�finir des r�gles du jeu social. Malgr� une certaine acuit� des associations dans le domaine du politique, la justification, ainsi que la l�gitimit� de leurs investissements technologiques, ont eu tendance � �tre uniquement fond�es au regard d'une pr�tendue nature des choses et de l'�volution "naturelle" de la technique. Dans cette perspective g�n�rale d'utilisation des proth�ses de communication par les associations, nous nous int�resserons plus sp�cifiquement, ici, aux groupements associatifs relevant d'un engagement distanci� [Ion, J. : 1997], organisations que nous nommerons �galement associations "post-militantes". Nous pensons en effet qu'il peut s'av�rer fort heuristique de penser les usages li�es � l'Internet en contexte de "militance" comme �tant la traduction techno-logique de ce type pr�cis d'engagement. L'appropriation de ces "nouvelles" technologies num�riques serait en effet susceptible de servir, supporter, renforcer et objectiver (mat�rialiser) cet engagement distanci�. Programmatique et prospectif, le pr�sent texte se donne pour objectif de poser quelques jalons de fa�on � examiner les pratiques de communication li�es au d�veloppement des plus r�cents r�seaux t�l�matiques, et ce, dans le cadre particulier d'un renouvellement des formes associatives du militantisme. De l'engagement distanci� : La th�se que d�fend Jacques Ion est la suivante : les ressorts classiques de l'engagement associatif civique sont en voie de modification, sinon de consomption, et d�crivent le passage d'un militantisme traditionnel (par rapport auquel s'�tait par exemple organis� l'ensemble du mouvement ouvrier), � un engagement distanci� dont les sympt�mes se lisent tout autant dans le renouvellement des modes d'action collective que dans les formes de sociabilit� par ailleurs convoqu�es. Il insiste tout particuli�rement sur le fait que les modes d'implication dans la sph�re publique continuent � �tre consid�r�s � l'aune d'une repr�sentation embl�matique du militantisme construite sur le mod�le de l'engagement syndical des ann�es de croissance, largement normative et surtout inad�quate pour envisager et comprendre ce qui se joue actuellement avec l'�mergence des nouvelles formes associatives, qui correspondraient � l'�volution des rapports entre la soci�t� et l'individu. � suivre cet auteur (il n'est toutefois pas le seul � d�fendre cette vision des choses), il convient donc de replacer notre interrogation dans le cadre g�n�ral des transformations du militantisme, des modes d'engagement et des pratiques associatives : types de structuration, modalit�s de fonctionnement, modes d'insertion des individus, r�gimes d'action des groupements. L'�volution des formes, des r�f�rents, des causes comme des contenus de l'action collective constitue alors l'arri�re-fond � partir duquel il nous semble int�ressant d'interroger l'utilisation des nouveaux r�seaux t�l�matiques par ces associations "post-militantes". De fa�on succincte, l'on peut pr�senter les caract�ristiques des groupements associatifs "post-militants" en huit points. En premier lieu, les associations de la "militance" ne s'inscrivent plus au sein de r�seaux id�ologico-politiques par l'interm�diaire desquels �tait ench�ss� g�n�ralement les associations revendicatrices. Avec les associations de l'engagement distanci�, on assiste � une perte d'influence de la forme f�d�rale au profit d'inscriptions associatives ind�pendantes des r�seaux d'appartenance. En second lieu, l'intrication des Nous communautaire (priv�) et soci�taire (public), caract�ristique des associations militantes, serait en passe de se redistribuer de mani�re bien diff�rente. Le Nous du collectif local, rassembl� autour des proximit�s sociales et g�ographiques circonscrites et requalifi� par une appartenance � un Nous sup�rieur, laisserait ainsi place � un mod�le �volutif o� valeurs de sociabilit� et identit�s collectives seraient davantage ind�pendantes les unes des autres. L'entre-soi militant ne serait plus indissociablement communautaire et soci�taire, et l'adh�sion ne serait plus forc�ment synonyme de renforcement d'une identit� collective . Avec les associations "post-militantes", le groupement local - ou le groupement sp�cialis� - entend davantage tirer sa l�gitimit� de son terrain d'action sp�cifique. Le Nous para�t ainsi davantage devoir �tre le r�sultat de l'action que son r�f�rent initial. Troisi�me point, cette dissociation croissante entre appartenances primaires et engagement "militant", conduit secondairement � une transitivit� grandissante des individus � travers les divers groupements associatifs. On assiste alors � un ph�nom�ne de multi-participations individuelles, l'un et l'autre de ces processus profilant un ensemble d'interconnexions t�moignant d'une reconfiguration dans la structuration de la vie associative. Par ailleurs, avec l'engagement distanci�, on passe de la longue dur�e � l'exp�rience et � l'efficacit�. C'est l'exemple de l'action qui devient pr�pond�rant, remettant en cause une l�gitimation ancr�e dans le communautaire, calqu�e sur le mod�le politique, et qui met davantage en jeu les individus en tant que personnes. Les formes associatives qui s'en d�gagent se donnent � voir comme des communaut�s d'action qui ne pr�existent pas � l'engagement de ses membres et �voluent donc parall�lement aux projets de mobilisations. En contrepoint, se ren�gocie �galement, selon un processus contraire, de disjonction, les rapports entre le Je et le Nous. Vie militante et vie priv�e se d�finissent alors de fa�on plus dissoci�e et dans le m�me temps, au lieu que l'individu adh�rent ne compte que par le r�le que lui conf�re le groupement, c'est au contraire son individualit� sp�cifique d�tentrice de ressources et de comp�tences particuli�res (en information, en relation, en expertise, etc.) qui le en fait une pi�ce ma�tresse du dispositif. La p�riode r�cente inaugurerait ainsi une nouveaut� assez radicale, � savoir l'usage militant de comp�tences priv�es ainsi que le d�ploiement de ressources professionnelles dans l'exercice associatif au profit de l'efficacit� de l'action du groupement, c'est l� notre cinqui�me point. Sixi�me point, les proc�dures de repr�sentation et les m�canismes de d�l�gation ne sont plus pens�s comme allant de soi. La prise de parole n'appara�t plus devoir �tre r�serv�e aux seules personnes d�sign�es et les processus m�me de d�signation sont suspect�s d'entretenir une forme sp�cifique de rapports de force entre les membres associ�s, �lecteurs d'un c�t� et mandat�s de l'autre. C'est en fait la c�sure entre l'�lite associative et la masse des adh�rents qui est remise en cause. Les acteurs associatifs expriment leur souci de prendre une part active et directe � la r�solution de certains probl�mes de soci�t�. Ils ne se satisfont plus d'agir par d�l�gation. P�nulti�me caract�ristique, c'est �galement le principe d'une l�gitimit� qui se gagne par le nombre qui est ici critiqu�, celui-l� m�me qui a �t� directement emprunt� aux formes de la d�mocratie repr�sentative et de la l�gitimit� politique. Si la possibilit� de faire nombre et de mettre en visibilit� la multitude fait toujours partie des r�pertoires d'action, elle n'est pourtant plus la panac�e des strat�gies d'intercession. Il existe bien d'autres formes d'intervention que celles fond�es sur le nombre, et qui semblent tout autant susceptibles d'affirmer puissance et l�gitimit� des groupements. Le paravent constitu� de la masse des individus anonymes, s'il permettait aux groupes organisateurs d'avancer prot�g�s en leur conf�rant une certaine ampleur, il cachait dans le m�me temps une conception de l'individu interchangeable au regard d'un Nous soci�taire, qui lui, �tait consid�r� comme unique et ins�cable. L'acteur se substitue en quelque sorte � l'atome. Enfin, les formes de l'action collective associative les plus r�centes, bien que tr�s diverses, ont tendance � se tourner vers une sorte d'id�alisme pragmatique c'est-�-dire vers le maintient d'objectifs � long terme, mais coupl� � la recherche d'une efficacit� plus ou moins imm�diate � base, notamment, d'op�rations "coups de poing". Cette orientation de l'intervention et de la revendication s'observe par exemple, � travers l'interpellation directe et parfois spectaculaire de l'opinion publique et de la sph�re du politique. Une traduction techno-logique de l'engagement distanci� : En voulant s'int�resser � la rencontre de certains groupements associatifs avec les plus r�cents dispositifs de communication sur r�seaux, notre ambition est double et s'inscrit dans le sillage ouvert par Harold Innis envisageant les conjonctions entre formes politiques et moyens de communication : d'une part, s'enqu�rir de la fa�on dont la technique peut supporter une forme associative d'action politique, et d'autre part, envisager le contenu � proprement parler politique des technologies de l'Internet au sens o� elles constituent n�cessairement des "�l�ments actifs d'organisation des relations des hommes entre eux et avec leur environnement" [Akrich, M. : 1987]. Une action collective incorpore forc�ment toujours des agencements techniques divers, des objets et des instruments forts vari�s qui l'objectivisent et lui fournissent un appui mat�riel relativement stable. Analyser l'action collective de type associatif n�cessite alors d'interroger les syst�mes d'actants convoqu�s ainsi que la fa�on dont sont agenc�s les dispositifs techniques aux acteurs humains. En un mot, c'est chercher � comprendre l'investissement dont ces objets et dispositifs sont la cible de la part des �tres sociaux, et � circonscrire ainsi les �l�ments d'opportunit�s et de contraintes qu'ils constituent au regard de l'action critique envisag�e. Pour le dire autrement, il s'agit de mettre en lumi�re, les nouvelles conditions de production, de circulation, de transmission et d'exercice de certaines formes d'action associative et de critique sociale. Si l'on suppose pertinent de reconna�tre avec Josiane Jou�t que l�architecture technique d'un dispositif machinique peut contribuer � la construction du lien social [Jou�t, J. : 1994], �tant entendu par ailleurs qu'aucune machine ne porte cette �vidence en elle-m�me, il n'est pas incongru de pr�senter ces "nouveaux" r�seaux t�l�matiques comme un des �l�ments susceptibles de participer � des d�placements dans la fa�on dont les associations se structurent, agissent, d�finissent leurs objectifs, leur identit�, leurs postures de relation � l�action, l'ajustement de leurs conduites quotidiennes aux circonstances de l'action, et n�gocient les modalit�s de leur pr�sence et de leurs engagements au sein du tissu social. Selon toute vraisemblance, l'Internet participe ainsi au soutien, � la permanence, � l'extension et m�me � la cr�ation de r�seaux sociotechniques (il d�finit des acteurs, un espace et leurs relations au sein de cet espace) qui alimentent � des degr�s divers, par sp�cification conjointe du social et du technique, l'investissement civique propre au regroupement associatif. On peut, � ce moment-l�, rechercher ce que l'on pourrait appeler un syst�me d'action protestataire, con�u comme une abstraction th�orique permettant de mettre en valeur les relations interd�pendantes qui se nouent entre les dispositifs techniques et les associations revendicatrices. De la m�me fa�on que Madeleine Akrich [Akrich, M. : 1987] d�crit le groupe �lectrog�ne � r�servoir comme �l�ment central dans l'organisation de certaines sociabilit�s villageoises africaines, l'on peut penser que l'Internet fixe et met en forme de mani�re sp�cifique, certaines relations des associations avec leurs "environnements". L'objectif est donc de r�aliser une sociographie de l'Internet associatif, en tant qu'il peut se d�finir comme une sorte d'ar�ne digitale [Hilgartner, S., Bosk, C. : 1988]., c'est-�-dire comme un syst�me hybride organis�, � l'aide duquel les forces sociales associatives peuvent se faire voir, se faire entendre, et sur lequel elles peuvent s'appuyer pour optimiser leurs objectifs de justice sociale. Les associations sont � consid�rer, � la fois comme des espaces publics sociaux et des espaces publics politiques. Si Internet peut avoir quelque ascendants sur ce type de dispositifs organisationnels, c'est d'abord sur le groupement associatif en tant que communaut� d'action que ses effets structurants pourront �tre constat�s, et fort secondairement sur l'association en tant qu'espace public politique. Comme le note Asdrad Torr�s, "l'utopie d'Internet c'est de croire que la dynamique Internet va bouleverser l'ordre des choses" [Torr�s, A. : 1996]. Passer de la sociabilit� communautaire � la citoyennet� soci�taire, c'est-�-dire � la traduction des pr�occupations communes en probl�mes publics, appelle forc�ment davantage que la simple agr�gation des subjectivit�s dans de nouvelles communaut�s, fussent-elles virtuelles. L'interactivit� technique n'est pas forc�ment synonyme de coop�ration ou d'interaction sociale et il y a une grande candeur � croire que les r�seaux t�l�matiques puissent provoquer d'eux-m�me une redistribution sociale et politique. Cependant, les groupements associatifs de l'engagement distanci� partagent en partie avec les nouveaux r�seaux t�l�matiques, un imaginaire social dont les principes fondateurs sont r�gl�s sur le mythe l'auto-organisation de la soci�t� civile et de la participation active des citoyens. Mais cette concomitance m�taphorique qui op�re en premi�re instance sur des qualit�s suppos�es partag�es, est-elle observable dans les faits ? Deux orientations sp�cifiques sont alors � envisager : d'une part l'�valuation pr�cise de ce en quoi les "nouveaux" r�seaux t�l�matiques renforcent l'engagement associatif distanci� et lui sont (ou pourraient lui �tre) utiles ; et d'autre part, � condition que cette transitivit� �voqu�e s'av�re factuellement effective : l'appr�ciation de la valeur de l'engagement digital (la pratique des r�seaux est-elle susceptible de nourrir un engagement au sein des groupements associatifs convoqu�s ?) Quelques hypoth�ses de travail : Les associations relevant de l'engagement distanci� appellent des formes de fonctionnement plus flexibles dont Internet pourrait fournir les bases et permettrait une am�lioration des performances associatives � diff�rents niveaux : au niveau de la concertation, de la d�cision, de l'organisation du travail (despatialisation, d�synchronisation, renforcement des capacit�s d'analyse, acc�s in�dit � la transversalit�, possibilit� d'une gestion �mergentes des points de vue). Le r�seau des r�seaux pourrait �galement �tre � m�me de renforcer les logiques d'expertise et de servir la n�cessit� pour les associations d'argumenter leurs contestations et leurs actions. Il ouvre, d'autre part, de nouvelles formes d'intervention dans l'opinion publique (repr�sentation des int�r�ts, mont�e en g�n�ralit�, dialogues et d�bats, (r�)activation d'une "conscience politique", mais aussi recrudescence de la dimension symbolique des luttes : syst�matisation d'un travail volontaire de mise en sc�ne, de construction d'images autour des groupes et des causes), et permet une production directe d'informations contextualis�es (collecte, capitalisation, centralisation, cr�ation de bases de donn�es)... Par ailleurs, les associations de l'engagement distanci� dessinent une g�ographie architecturale de la structuration associative qui se construit sous forme de r�seaux et d�note un comportement r�fractaire � l'encontre des processus de d�l�gation de pouvoir. De la m�me fa�on que le mod�le d'usage des r�seaux t�l�matiques renverse la logique de diffusion des mass-m�dias, les associations de la militance renversent les principes de l'action politique traditionnelle. Internet offre potentiellement les bases mat�rielles d'une remise en cause de l�exercice de l�autorit� et des valeurs collectives de r�f�rence. Il contribue � l'�volution du caract�re hi�rarchique des institutions associatives vers un mod�le plus diffus o� la capacit� � mobiliser des individus au service d'objectif, pourrait reposer, au moins en partie, sur des investissements de formes technologiques et non plus sur des inscriptions associatives d�pendantes de r�seaux d'appartenance pr�-constitu�s. Internet offrirait la possibilit� de s'adresser de fa�on indiff�renci�e � l'ensemble de la population et des citoyens, et permettrait une redistribution de l'expression directe, de la prise de parole et plus g�n�ralement de la participation visant � l'amoindrissement des processus de d�l�gation et de repr�sentation. Le recours � la m�diation technique permettrait alors d'instituer de nouveaux rapports entre la base et le sommet, fond�s sur le d�veloppement d'�changes horizontaux, empruntant � la structure neuronnale des r�seaux t�l�matiques. Par ailleurs, les sociabilit�s �lectives naissant au sein des communaut�s associatives d'action trouvent leur pendant dans l'autonomie sociale qui se manifeste au sein des r�seaux et des technologies num�riques. Ces sociabilit�s se distribuent d'ailleurs selon une double modalit�, qui est � la fois celle de la valorisation et de la reconnaissance d'un acteur autonome et singulier et de ses comp�tences individuelles, ainsi que celle d'un engagement toutefois partag�. Les inscriptions associatives du mod�le de la militance sont ind�pendantes des r�seaux d'appartenance classiques. � cet �gard et dans le sillage de Pierre Chambat, qui insiste sur le fait que l'acc�s au r�seau se r�alise de mani�re volontaire ("L'usager choisit d'entrer dans un r�seau qui correspond � sa demande" [Chambat, P. : 1994]), on peut penser que la participation � des activit�s associatives on-line repose sur de r�els int�r�ts partag�s susceptibles de conduire � une participation d�passant celle des r�seaux digitaux. D'autre part, on peut envisager qu'Internet puisse contribuer � renforcer les relations diffuses qui caract�risent une partie des sociabilit�s pr�sentes au sein des organisations associatives de la militance. Comme l'a d�montr� Howard Rheingold, les communaut�s virtuelles qui ont une r�elle activit� sont en fait des communaut�s hybrides, c'est-�-dire que "les gens qui interagissent les uns avec les autres par l'interm�diaire de leurs modems se rencontrent physiquement. (...) Vie r�elle et vie sur le r�seau s'entrem�lent inexorablement" [Rheingold, H. : 1995]. De la m�me fa�on, les membres des groupements associatifs de l'engagement distanci� peuvent maintenir le contact par le biais du courrier �lectronique. Vie militante publique et vie priv�e trouveraient ainsi le moyen de s'accorder de nouveau � moindre frais . La logique serait alors inverse � celle d�crite par Rheingold. Les �changes virtuelles renforceraient les sociabilit�s en vigueur au sein de la sph�re associative de la militance. Elle trouverait sur le r�seau des r�seaux, un moyens de solidifier la composition des communaut�s politiques dont elle est constitu�e, d�finies par l'absence d'espace commun a priori. Internet fortifierait par exemple les liens entre des membres inconnus les uns des autres, qui se mobilisent ponctuellement, mais pouvant �tre cependant individuellement tr�s actifs. Le dispositif technique forgerait des groupes sociaux capables de s'instituer en communaut� de r�f�rence, ind�pendamment d'un lieu, d'une culture, ou d'une nation (l'ampleur et l'envergure des mobilisations peuvent �tre tout aussi bien nationale que locale - Nous local partiel - ou internationale - Nous global universel). De mani�re identique au fait qu'il existerait la possibilit� d'un affermissement des relations interindividuelles par le biais de la m�diation technique, cette derni�re pourrait �galement pr�valoir � la constitution ou au contentement de regroupements interassociatifs, et/ou � l'accroissement de la transitivit� des individus � travers les diverses entit�s associatives. Internet catalyserait en quelque sorte la reconfiguration avec les associations de la militance dans la structuration de la vie associative. Enfin, nous avons vu supra que les groupements associatifs de l'engagement distanci� d�crivaient un mod�le d'organisation que nous avions qualifi� d'exot�rique, dont les fronti�res sont travaill�es en permanence et dont l'unit� respective est essentiellement due aux actions men�es de concert. C'est ce qui est �prouv� en commun qui forge finalement dans ce mod�le le sentiment identitaire. La question qui se pose alors est celle de la transposition de telles idiosyncrasies sur les r�seaux num�riques. L'investissement des r�seaux par cette cat�gorie d'acteurs associatifs ne saurait �tre simplement consid�r�e comme l'appropriation d'un nouveau m�dia mais peut-�tre aussi comme l'�mergence d'une autre version de l'espace public compris comme le lieu d'une production collective de subjectivit� (F�lix Guattari). Le concept de sph�re publique et son principe de Publicit� qui, jusqu'alors constituaient davantage un syst�me axiologique et un horizon d'attentes normatives, deviennent, � �tre construits comme r�seaux sociotechniques, le lieu d'exercice d'une praxis g�n�ralis�e capable de renouveler les modalit�s d'orientation des actions, d'�valuer, de hi�rarchiser, d'associer, d'�tayer des d�cisions sur de nouvelles donn�es, de faire �merger de nouvelles pratiques sociales orient�es co-existantes des op�rations et des proc�dures d'organisation/construction d'une nouvelle visibilit� sociale. L'espace public sous les conditions techno-politiques des "nouveaux" r�seaux t�l�matiques d�signerait aussi le lieu de la constitution d'un monde commun, d'une intersubjectivit� pratique permettant "aux partenaires de sp�cifier le mode sur lequel ils se rapportent temporairement les uns aux autres et au monde, et donc de construire, de fa�on concert�e et sur le mode du �sens incarn�, ce qu�ils se rendent mutuellement manifeste ou sensible dans l�interaction : � savoir une fa�on de se lier, une structure d�attentes r�ciproques, un monde et un horizon communs" [Qu�r�, L. : 1991] Nous pourrions alors peut-�tre avancer sur le mod�le du tiers symbolisant, la notion de tiers processuel, afin d'exprimer les conditions d'�mergence de contextes s�mantiques de description et de r�gimes de signes in�dits, ainsi que celles d'une ph�nom�nalit� techno-politiques dont la base est cette capacit� pour les communaut�s associatives de pouvoir fa�onner leurs propres contextes de publicisation et prendre part � l'exercice conflictuel de l'expression de leurs int�r�ts. Conclusion : Les groupements associatifs de l'engagement distanci�, parce qu'ils peuvent �tre consid�r�s comme une forme � part enti�re de la participation politique qui ne saurait uniquement s'exprimer dans l'acte de vote, parce qu'ils supportent de nombreuses formes d'actions collectives qui contribuent � souligner et d�finir des probl�mes par rapports auxquels peuvent �tre attendues des actions �tatiques, parce qu'ils sont aussi des agencements collectifs d'�nonciation et d'expression d'identit�s collectives, parce qu'ils donnent aussi les bases d'une citoyennet� et d'une communaut� politique maintenues par de l'agir en commun, parce qu'ils dessinent en creux un renouvellement de l'intervention des masses dans le champ social, etc., pour toutes ces raisons, ce type de fait associatif r�clame la plus grande attention. De la m�me mani�re, si l'on s'accorde � consid�rer avec F�lix Guattari qu'une attitude responsable au regard de notre devenir technologique, est de s'approprier collectivement, politiquement et d�mocratiquement les plus r�cents syst�mes d'information et de communication afin de leur "conf�rer des finalit�s convenables", alors, il convient au plus grand nombre de s'int�resser � ce que R�gis Debray qualifie de mise sous tension �thique de la technique, c'est-�-dire la n�cessit� imp�rieuse d'avoir � "pr�voir [et � assumer] les plus fortes pentes des syst�mes � na�tre (...) afin de pouvoir faire avec, contre ou sans..." [Debray, R. : 1994]. Fabien Granjon Doctorant IFP/Paris 2 [email protected] R�f�rences bibliographiques : AKRICH, M., "Comment d�crire les objets techniques", Techniques et Culture, n�9, janvier-juin 1987, pp.49-64. CHAMBAT, P., "NTIC et repr�sentations des usagers", in VITALIS, A. (sous la dir.), M�dias et nouvelles technologies. Pour une sociopolitique des usages . Apog�e, Rennes, 1994, pp.45-59. DEBRAY, R., Manifestes m�diologiques, Gallimard, Paris, 1994. GUATTARI, F., La r�volution mol�culaire, 10/18, UGE, Paris, 1977. GUATTARI, F., Chaosmose, Galil�e, Paris, 1992. GUATTARI, F., "Pour une refondation des pratiques sociales", Le Monde Diplomatique, n� 463, octobre 1992. HILGARTNER, S., BOSK, C., "The Rise and Fall of Social Problems", American Journal of Sociology, vol. 94, 1988, pp.53-78. ION, J., La fin des militants ?, Les �ditions de l�atelier, Paris, 1997. JOU�T, J., "Relecture de la soci�t� de l'information", in CHAMBAT, P. (sous la dir.), Communication et lien social, La Villette-CSI/Descartes, Paris,1992, pp.177-189. JOU�T, J., "Le changement social � l�aune des m�diations de communication", MEI (M�dia et Information), n�2, 1994, pp.47-53. QU�R�, L., "D�un mod�le �pist�mologique de la communication � un mod�le prax�ologique", R�seaux, n�46-47, mars-avril/mai-juin 1991, pp.69-90. RHEINGOLD, H., Les communaut�s virtuelles. Autoroutes de l'information : pour le meilleur ou pour le pire ?, Mutations technologiques, Addison-Wesley, Paris, 1995. TORR�S, A. (interview), Le mythe Internet, Terminal, n�71-72, �t�-automne 1996, pp.89-93. . . . . / b / u / g / [email protected] l o s t i n c y b e r s p a c e . . . _______________________________________________ #<[email protected]> est une liste francophone de politique, art, culture et net, annonces et filtrage collectif de textes. #Cette liste est moderee, pas d'utilisation commerciale sans permission. #Archive: http://www.nettime.org contact: [email protected] #Pour vous desabonner de cette liste, suivez les instructions sur http://ada.eu.org/cgi-bin/mailman/listinfo/nettime-fr #contact humain : [email protected]